Le RAZONI a été le premier navire à quitter l'Ukraine dans le cadre de l'initiative sur les céréales de la mer Noire. Depuis la signature de l'accord en juillet 2022, plus de 32 millions de tonnes de produits agricoles ont été exportées vers 45 pays sur trois continents.
La fin de l'initiative sur les céréales de la mer Noire
Le 17 juillet, l'initiative céréalière de la mer Noire, soutenue par les Nations unies, a pris fin suite à la décision de Moscou de ne pas prolonger sa participation à l'accord. Dans le cadre de cet accord, la Russie autorisait le passage en toute sécurité de navires marchands à partir de trois ports ukrainiens, afin de faciliter l'exportation de produits agricoles. La fin de l'accord aura d'importantes conséquences au niveau mondial.
L'invasion russe de février 2022 a mis en évidence la position de l'Ukraine en tant que principal producteur de céréales. Dans les mois qui ont suivi, le blocage effectif des navires marchands dans les ports ukrainiens a contribué à l'inflation mondiale des prix des denrées alimentaires et a menacé d'aggraver la famine dans les régions touchées par la sécheresse. Selon les Nations unies, l'accord a permis de réduire directement les prix alimentaires mondiaux et de livrer plus de 725 000 tonnes de blé à six pays touchés par la famine. Le retrait de la Russie de l'initiative déclenchera probablement à nouveau une inflation des prix et aggravera la famine dans les pays en développement.
Il reste possible que la pression internationale convainque le président russe Vladimir Poutine de reprendre les négociations, de sorte que l'accord sur les céréales puisse être rétabli. Moscou a déclaré que sa décision était définitive, mais il pourrait s'agir d'une manœuvre politique visant à obtenir davantage de concessions sur les exportations d'engrais et l'accès au système bancaire SWIFT. Lors des précédentes prorogations de l'initiative, en novembre, mars et mai, Moscou a tergiversé et a reporté son accord officiel au dernier moment. Toutefois, si Moscou ne reprend pas les négociations, les conséquences mondiales sont inévitables.
Impact international des céréales Ukrainiennes
La Chine a été le plus grand importateur de produits ukrainiens l'année dernière, recevant un quart de toutes les exportations. La relation entre Poutine et le président Xi Jinping sera cruciale pour l'avenir de l'accord. Xi pourrait faire pression sur Poutine pour qu'il reprenne l'accord sur les céréales, car la perte de huit millions de tonnes de produits agricoles au cours de l'année prochaine constituerait un manque à gagner stratégique important. Depuis la dernière rencontre entre les deux dirigeants en mars, Poutine a essuyé de nouveaux revers dans le conflit ukrainien et a vu son autorité remise en cause par la mutinerie du groupe Wagner. Xi pourrait estimer que Poutine est dans une position de plus en plus faible et pourrait en tirer parti en cherchant à obtenir des conditions préférentielles lors de futurs pourparlers.
L'un des principaux résultats de l'accord sur les céréales a été d'accroître l'approvisionnement en céréales des pays menacés par la famine, notamment l'Afghanistan, l'Éthiopie, le Kenya, la Somalie, le Soudan et le Yémen. Souvent, les céréales sont passées par la Turquie pour être transformées en farine avant d'être expédiées vers l'Afrique. Ces dernières années, la Russie a accru son influence en Afrique par la diplomatie, l'investissement et le déploiement de mercenaires du groupe Wagner dans certains pays. Le retrait de la Russie de l'accord aura probablement un impact négatif sur de nombreuses nations africaines. Cette décision stratégique pourrait être mal perçue par les dirigeants africains et entraîner une réduction de l'influence de Moscou sur le continent.
Si Moscou ne prolonge pas l'accord sur les céréales, cela aura également un impact sur les pays européens. L'Italie, les Pays-Bas et l'Espagne sont de grands importateurs de produits via la mer Noire. Le 17 juillet, Josep Borrell, chef des affaires étrangères de l'UE, a dénoncé le refus de Poutine de prolonger l'accord, accusant Moscou d'armer la faim.
Risque de troubles en Europe
L'Union européenne se préoccupe également de ses marchés intérieurs. Les prix des produits agricoles, tels que les céréales et l'huile de tournesol, et des denrées alimentaires secondaires, telles que la farine, le pain et la viande (une grande partie des céréales servant à nourrir le bétail) sont susceptibles d'augmenter fortement au cours des prochains mois. Dans une dynamique distincte, l'UE a été confrontée aux défis posés par la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne et la Slovaquie. En principe, les produits ukrainiens qui ne sont pas exportés via la mer Noire transitent par ces pays adjacents ; cependant, des denrées alimentaires bon marché ont inondé leurs marchés, entraînant des baisses de prix et menaçant les moyens de subsistance des agriculteurs.
Ces derniers mois, les travailleurs agricoles ont organisé des manifestations et les gouvernements de Bratislava, Budapest et Varsovie ont interdit les importations en provenance d'Ukraine. Ces mesures ont provoqué des tensions diplomatiques avec Bruxelles, qui a accepté de fournir un financement d'urgence aux agriculteurs, mais n'a pas accepté que ces membres de l'UE prennent des mesures unilatérales en matière de commerce. Si l'accord sur les céréales ne reprend pas, l'Ukraine sera contrainte d'exporter des quantités encore plus importantes de denrées alimentaires par voie terrestre via ces pays. Des élections nationales se tiendront en Pologne et en Slovaquie dans les mois à venir ; à l'extrême, la combinaison de la hausse des prix des denrées alimentaires, des difficultés du secteur agricole et des relations avec Bruxelles pourrait avoir une incidence sur les résultats de ces élections.
Garantir les livraisons de céréales
En l'absence d'un accord en cours, la Russie ne garantirait plus la sécurité de la navigation marchande en mer Noire. Il est toutefois possible que la navigation se poursuive. Les compagnies maritimes peuvent continuer à commercer en utilisant leur droit de libre passage, bien que le facteur décisif soit le coût de l'assurance du navire et de la cargaison, qui varie en fonction de l'environnement de sécurité. Il ne serait pas dans l'intérêt politique ou militaire de la Russie de cibler la navigation civile ; les navires de guerre russes pourraient harceler ou perturber le trafic, mais cela exposerait leurs navires à des attaques de missiles antinavires ukrainiens. L'Ukraine n'a pas de marine capable de défendre les navires marchands, il est donc possible qu'une coalition se forme pour fournir des escortes aux navires marchands. Une coalition dirigée par l'OTAN est peu probable, car les responsables politiques estimeraient probablement que cela risquerait d'entraîner une escalade du conflit. Toutefois, une coalition de pays plus neutres pourrait être possible, en particulier ceux qui dépendent des exportations de céréales. Par exemple, l'Algérie, l'Égypte, l'Inde, Israël et la Tunisie ont des marines relativement modernes, capables d'accomplir une telle tâche. Enfin, la menace des mines marines, qui était considérée comme élevée à la mi-2022, a considérablement diminué. Malgré plus de 1 000 mouvements de navires depuis juillet 2022, aucun incident impliquant des mines n'a été enregistré.
Conclusion
Poutine sera probablement soumis à des pressions croissantes pour que la Russie reprenne sa participation à l'initiative sur les grains de la mer Noire. Bien qu'il soit peu probable qu'il soit influencé par l'ONU ou l'UE, il est possible que les dirigeants d'Afrique, de Chine, d'Inde et d'autres nations relativement neutres le convainquent de reprendre les négociations. L'arrêt des exportations de céréales ukrainiennes aura des conséquences importantes au niveau mondial, notamment une hausse des prix des denrées alimentaires et un risque accru de famine dans les pays les plus pauvres. Il est possible que le commerce se poursuive en l'absence de garanties de sécurité de la part de la Russie, mais cela entraînerait également un risque élevé pour les compagnies maritimes.
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Auteur(e)(s)
Chris Clough
Analyste du renseignement IV, France
Chris Clough s'est joint à Crisis24 en 2022 après une carrière au sein de la marine britannique ainsi qu'à titre de conseiller indépendant. De 2013 à 2016, il était attaché de la marine auprès de la...
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