Résumé
Il y a un an, le Sud de l’Europe était embrasé par des feux de forêt d’une intensité extrême, durant l’été le plus chaud jamais enregistré sur le continent. L’été 2022 s’avère tout aussi chaud, sec et ardent. De nombreux incendies majeurs se sont déclarés au cours des mois de juin et juillet, alors que le continent était traversé de fortes vagues de chaleur. Des températures au-dessus de la normale et des précipitations en-deçà de la normale devraient persister, ainsi que d’autres conditions favorables au déclenchement des feux de forêt, pour le reste de la saison en août et septembre.
Vue d’ensemble
Les feux de forêt se produisent dans de nombreuses régions du continent européen tout au long de l’année; le Système européen d'information sur les feux de forêt (EFFIS) a relevé des incendies dans 22 des 27 États membres au cours de 2021. Cependant, les feux qui causent le plus de perturbations, de décès et de pertes économiques coïncident généralement avec les mois estivaux de juin à septembre, et sont plus courants dans la région méditerranéenne en raison de son climat chaud et sec. Historiquement, les zones les plus affectées par les feux de forêt se trouvent au Sud de la France, en Grèce, au Portugal, en Espagne et en Turquie. Ils peuvent donner lieu à des évacuations, à des fermetures de routes, et à diverses perturbations dans les transports. Bien que les services d’urgence soient habituellement capables de contenir les incendies et de mettre en place des déviations efficaces, les autorités peuvent être amenées à déclarer l’état d’urgence pour faciliter les interventions face aux feux les plus intenses. Quand ceux-ci s’avèrent difficiles à contenir et se répandent rapidement, ils peuvent causer une destruction massive des habitats et propriétés, et dans certains cas, des décès parmi la population locale.
Pour se développer, les incendies ont besoin d’un combustible, tel que des végétaux secs ou des déchets organiques, et d’une source d’ignition comme la foudre ou l’activité humaine. Une fois déclenchés, leur progression dépend de plusieurs facteurs, comme le type, la quantité et le degré d’humidité du combustible disponible, la topographie et l’environnement, et les conditions climatiques dont notamment la direction du vent. Des conditions de chaleur et de sécheresse favorisent souvent le déclenchement d’incendies, car la chaleur réduit le degré d’humidité de la végétation, facilitant son ignition sous l’effet d’une étincelle. C’est pourquoi l’intensité des feux de forêt suit généralement les tendances des températures et de précipitations. Lorsque les températures sont plus élevées qu’à la normale et que les précipitations sont en-deçà de la normale, elles viennent accroître l’intensité de la saison des feux de forêt.
Après une année 2021 record, le Sud de l’Europe est-il prêt pour une autre saison de feux intense en 2022 ?
Si les étés du Sud de l’Europe sont souvent chauds et secs, les fortes vagues de chaleur de l’été 2021 ont créé un environnement d’autant plus propice aux feux de forêt. Les scientifiques de l’UE ont rapporté que 2021 avait été l’été le plus chaud jamais enregistré en Europe. Les températures étaient généralement plus élevées de 1°C par rapport à la moyenne de 1991 à 2000, et le record de chaleur pan-européen a été atteint en Sicile avec 48,8°C (119,8°F) à la fin août. De nombreux incendies majeurs se sont produits sur le continent, incluant aux environs de grandes villes comme Athènes, et de destinations touristiques populaires comme Bodrum en Turquie, Evia en Grèce, et la Catalogne en Espagne. Des feux intenses ont menacé les résidences et les commerces de milliers de personnes, et ont conduit à de nombreuses évacuations dans les zones les plus à risque. Les feux ont aussi fait 86 morts sur le continent.
Au cours de 2021, l’EFFIS a cartographié plus de 7000 incendies dans 43 pays d’Europe et des portions du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, sur une superficie totale de 1 113 464 hectares. La saison des feux 2021 était la deuxième plus intense depuis le début des relevés en 2000, derrière celle de 2017 qui a fait davantage de dommages, notamment lors d’incendies sans précédent dans la péninsule ibérique, qui avaient coûté la vie 100 personnes en juin et octobre. Les feux ont connu un pic d’activité notable en juillet et août, coïncidant sans surprise avec les mois les plus chauds de l’année.
Tableau 1. Incendies et superficies brûlées en 2021 selon les images par satellite de l’EFFIS
La Grèce et la Turquie ont subi les impacts les plus sévères des feux de 2021. La superficie brûlée en Grèce a atteint 632 % de la moyenne de 2008 à 2020, et 324 % de celle de l’été 2020. Les feux de 2021 ont été les plus intenses observés en Grèce depuis 2007, avec un total de 125 000 hectares affectés. Les plus importants incendies de l’été se sont produits à Evia, où ils ont brûlé plus de 50 000 hectares au début août. Ils ont détruit des pans entiers du nord de l’île et incinéré des centaines de résidences, et des bateaux ont dû être dépêchés pour évacuer environ 2 000 personnes de l’île. La Turquie, quant à elle, a connu en juillet et août plus de 200 feux de forêt qui ont brûlé 170 000 hectares durant la pire saison des feux jamais enregistrée dans le pays. Les autorités ont rapporté neuf décès, incluant au moins deux pompiers. Des dizaines de milliers de personnes ont dû être évacuées, incluant des milliers de touristes dans la station balnéaire de Bodrum. Des zones sinistrées ont été déclarées dans les provinces d’Adana, d’Antalya, de Mersin, de Muğla et d’Osmaniye, au sud du pays.
Prévisions de feux de forêt pour 2022 dans le Sud de l’Europe
De la même façon qu’en 2021, des températures extrêmement élevées sont attendues sur la majeure partie du continent pendant l'été 2022, et devraient offrir des conditions propices à une saison de feux très active. L’Europe a d’ores et déjà enregistré des records de chaleurs en début d’été, alors que deux vagues significatives traversaient de vastes portions du continent en juin et juillet. Un air chaud venu d’Afrique du Nord s’est déplacé sur la péninsule ibérique et en France à la mi-juin, avant de s’étendre sur l’ouest, le centre et l’est du continent. La seconde vague de chaleur a suivi un tracé à peu près semblable au début juillet, d’abord au Portugal, puis en Espagne, en France, et vers le nord et l’est du continent. Des records de températures ont alors été atteints à de nombreux endroits, incluant des régions de l’Espagne, de la France, de la Suisse, d’Autriche, d’Allemagne, de Croatie, de Slovénie, du Royaume-Uni et la Norvège. Des records de tous les temps ont été enregistrés dans plusieurs villes, et des températures de plus de 40°C (104°F) ont été observées pour la toute première fois au Royaume-Uni le 19 juillet. En plus des températures élevées, les taux de précipitation ont été en-deçà de la normale à de nombreux dans de nombreuses portions du continent. Des conditions de sécheresse ont affecté des régions du nord de l’Italie, et l’état d’urgence a été déclaré dans l’Émilie-Romagne, le Frioul-Vénétie Julienne, la Lombardie, le Piémont, et la Vénétie. Des restrictions d’usage de l’eau ont été imposées dans les zones affectées.
Ces conditions de chaleur et de sécheresse ont donné lieu à de nombreux feux de forêt dans les premiers mois de l’été. Les zones les plus affectées en juin et juillet comprenaient l’Espagne, le Portugal, le Sud de la France, la Turquie, et des régions aussi nordiques que le Land du Brandebourg en Allemagne. Les incendies ont forcé l’évacuation de collectivités locales, la fermeture de routes, et de nombreuses autres perturbations. Dans les communautés autonomes espagnoles de Castille-et-León et de Navarre, les feux déclenchés lors de la vague de chaleur de la mi-juin ont été les pires jamais enregistrés en termes de superficie brûlée. Plus de 74 000 hectares ont été touchés par les feux en Espagne durant la vague de chaleur de juin, ce qui en a fait la saison la plus sévère depuis 2003, avant même d’entrer dans le cœur de l’été. Des incendies graves ont aussi touché d’autres régions de l’Espagne, du Portugal, et du sud-ouest de la France au cours de la seconde vague de chaleur en juillet. Les autorités portugaises ont déclaré l’état d’urgence dans l’ensemble du Portugal continental entre le 11 et le 17 juillet, en raison des risques élevés d’incendies. De nombreux incendies se sont déclenchés au Portugal et en Espagne sous l’effet de la chaleur accablante, et des décès ont été attribués aux feux dans la communauté autonome espagnole de Castille-et-León et la municipalité portugaise de Vila-real. Deux incendies majeurs au sud de Bordeaux, au sud-ouest de la France, ont forcé l’évacuation de plus de 30 000 personnes à la mi-juillet. À la fin du mois, la saison des feux 2022 se classait déjà parmi les plus intenses jamais enregistrées en termes de superficie brûlée, alors que la seconde moitié de la saison n’avait même pas commencé.
Image 1. Carte des incendies produite par l’EFFIS par image satellite, 1er juin au 31 juillet 2022. Les couleurs représentent différentes dates et non l’intensité.
Les météorologues prévoient que les températures au-dessus de la moyenne vont persister dans la majeure partie de l’Europe en août et septembre. Les taux de précipitation de la région méditerranéenne devraient être proches de la normale, mais la normale est basse en cette période de l’année. Des précipitations légèrement sous la normale sont prévues dans les portions septentrionales du continent. En résumé, 2022 s’annonce comme une autre saison des feux au-dessus de la normale dans le Sud de l’Europe, alors que les tendances de chaleur et de sécheresse semblent se répéter. Étant donnés les niveaux d’activité déjà observés en juin et juillet, cette saison des feux sera probablement la plus intense jamais enregistrée.
Images 2a-2d. Prévisions saisonnières d’anomalies de températures et de précipitations, selon l’EFFIS.
Les tons rouges à orangés représentent des régions où les températures devraient être au-dessus de la normale saisonnière, et les précipitations en-deçà de la normale. Les tons bleutés représentent l’inverse. Plus le ton est sombre, plus la variance des températures ou des précipitations est anormale pour la saison.
2a. Anomalies de température en août
2b. Anomalies de précipitation en août
2c. Anomalies de température en septembre
2d. Anomalies de précipitation en septembre
Faire face à la menace
Face à l’intensification des risques d’incendies partout sur le continent, les autorités explorent continuellement des moyens de réagir. À l’aube du pic de la saison des feux 2022, l’UE a renforcé sa flotte d’avions et d’hélicoptères partagés pour combattre les incendies dans ses pays membres et nations partenaires. Cette flotte de 13 aéronefs était pleinement opérationnelle le 16 juin, et a été positionnée stratégiquement à divers points du continent pour être déployée lorsque des incidents dépassent les capacités des services d’urgence locaux. Elle a ainsi été dépêchée au Portugal, en France, et en Slovénie durant la vague de chaleur de la mi-juillet. La Bulgarie, la Finlande, la France, l’Allemagne, la Roumanie et la Norvège ont déployé plus de 200 pompiers et des équipements spécialisés en Grèce, pour offrir leur soutien aux pompiers locaux durant l’été. La Turquie a également renforcé sa flotte de lutte contre les incendies en 2022 suite aux feux dévastateurs de 2021.
En plus d’accroître les capacités de lutte contre les incendies et de favoriser les pratiques d’assistance mutuelle, des scientifiques ont recommandé aux pays européens d’incorporer des plans de réduction des risques à leurs stratégie de lutte contre les feux de forêt. Les autorités n’ont eu d’autre choix que de multiplier tout au long de l’année les approches de gestion des incendies telles que les brûlages contrôlés et les coupe-feux, afin de réduire l’impact potentiel des feux de forêt, et à aborder la planification urbaine de manière à éviter de construire près des zones à risque élevé. Une surveillance renforcée et une mise en application plus stricte des règlements sur l’occupation des sols et les activités forestières pourraient aussi contribuer à réduire l’impact potentiel des feux de forêt.
Impacts des feux de forêts
Les feux de forêt peuvent provoquer des pertes de vies humaines ou affecter la santé publique, entraîner des pertes économiques, et causer des dommages à l’environnement, à la propriété et aux infrastructures. En plus d’alimenter la pollution atmosphérique, la fumée des incendies peut faire mal aux yeux, irriter le système respiratoire, et aggraver les maladies chroniques du cœur et des poumons. La fumée peut aussi aggraver les symptômes des personnes avec des troubles respiratoires ou cardiaques préexistants. Les humains tout comme les animaux peuvent subir des brûlures et blessures.
L’érosion accrue des sols peut laisser des marques en cas de précipitations en raison de la perte de végétation. Des coupures de courant sont possibles là où des transformateurs et lignes de transmission sont endommagées. Des coupures intentionnelles peuvent aussi être nécessaires pour prévenir des dommages aux infrastructures ou pour prévenir la propagation des incendies.
Des perturbations peuvent survenir dans les chaînes d’approvisionnement, surtout si les feux de forêt traversent des autoroutes ou s’approchent de grandes agglomérations. Ces feux peuvent aussi conduire à des évacuations, des fermetures de route, et des déviations d’itinéraires. Les perturbations des principales artères et le manque de routes secondaires dans certaines régions peuvent aussi entraîner des perturbations importantes dans les transports. Les routes situées dans des régions éloignées risquent d’être fermées pour de plus longues périodes que les voies urbaines, en raison de leur inaccessibilité relative.
La faible visibilité causée par la fumée et les chutes de cendres peuvent entraîner des retards et des congestions dans les transports terrestres, et nécessiter des changements de dernière minute dans les transports aériens si les incendies se déclenchent à proximité d’aéroports. Les transports ferroviaires peuvent aussi subir de longs retards et des annulations.
De nombreux entrepôts, usines, et autres installations liées aux chaînes d’approvisionnement se trouvent dans les banlieues, et sont donc plus susceptibles d’être affectés par les feux de forêt que les bâtiments des centres-villes. Les incendies peuvent en outre détruire les cultures et le bétail, causant des pertes économiques. Enfin, les entreprises peuvent être grandement affectées par les perturbations dans les chaînes d’approvisionnement si elles nécessitent le transport de biens périssables.
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Auteur(e)(s)
Charles Hogger
Analyste du renseignement II, équipe météo et environnement
Charles a rejoint Drum Cussac (avant son intégration à Crisis24) en tant que Global Operations Officer en avril 2018, acquérant une connaissance approfondie des nombreux aspects opérationnels de l...
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