Auteurs : Fahim Masoud, Directeur du renseignement régional, et Gabriela Billini, Analyste des risques de sécurité
Le réveil d’un conflit vieux de plusieurs décennies
Le 14 novembre, des représentants du Front populaire de libération de la Saguia el Hamra et du Rio de Oro (Front Polisario) ont annoncé que le groupe mettrait fin à son engagement envers l’accord de cessez-le-feu de 1991 après avoir déclaré la veille que l’action militaire de Rabat dans la région constituait une violation de l’accord.
Suite à un blocus perturbant la circulation des marchandises et des voyageurs entre les zones du Sahara occidental et de la Mauritanie contrôlées par le Maroc, que les autorités marocaines ont qualifié de « provocation », le gouvernement a amorcé une opération militaire le 13 novembre pour mettre fin au blocus, assurer la liberté de circulation des civils et des activités commerciales, et insister sur le maintien du traité de paix.
Pour protester contre ce qui est perçu comme des frais de douane exorbitants, des manifestants sahraouis (population autochtone du Sahara occidental) ont provoqué depuis le 17 octobre ces perturbations de la chaîne d’approvisionnement. Bien que le Front Polisario n’ait pas demandé cette manifestation ou ne l’ait pas ouvertement soutenue, il ne l’a pas non plus condamnée et n’a pas tenté de l’empêcher. Suite à l’intervention de Rabat, le leader du Polisario Ibrahim Ghali a publié un décret présidentiel déclarant que le groupe mettait fin à son engagement de 29 ans de cessez-le-feu le 14 novembre, et a également publié une déclaration du groupe affirmant son retour à la résistance armée. La présence marocaine dans la zone tampon a été perçue comme un acte de guerre par le mouvement indépendantiste, ce qui a contribué à relancer le conflit.
Perturbations au milieu des affrontements
Des affrontements intermittents continuent d’être signalés depuis le début de l’opération militaire. Les autorités marocaines ont déclaré que les forces armées du pays répondent aux tirs du Front Polisario le long de la zone tampon patrouillée par l’ONU depuis le 13 novembre. Des échanges de tirs supplémentaires, ainsi que des tirs de mortier et d’autres tirs d’artillerie, restent probables le long des 2 700 km du mur de défense marocain qui sépare le territoire. Le Front Polisario a déclaré le 15 novembre qu’il mobilisait des milliers de volontaires pour rejoindre son combat contre le Maroc. Le 16 novembre, le roi Mohammed VI, dans un appel téléphonique avec le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres, a déclaré que le Maroc était favorable à un cessez-le-feu, mais qu’il restait fermement déterminé à réagir avec rigueur et en légitime défense contre toute menace à sa sécurité.
Perspectives
Compte tenu de la présence de Rabat sur le terrain dans la zone tampon et des appels à la résistance lancés par le Front Polisario, les tensions resteront probablement élevées entre les deux parties au cours des prochaines semaines. En conséquence, des manifestations restent probables dans les principales villes du Sahara occidental, notamment Laâyoune, Dakhla, El Guerguerat et Al Mahbes. Bien qu’il soit peu probable que ces manifestations soient excessivement perturbatrices, les forces de sécurité marocaines seront presque certainement déployées pour assurer la surveillance des activités. La violence et les affrontements entre les forces de sécurité et les manifestants ne peuvent être exclus. Des manifestations sont également possibles au Maroc et dans toute la région, y compris en Algérie, en particulier si le conflit s’intensifie et qu’il y a des pertes militaires importantes. Les autorités marocaines ont annoncé la reprise de toutes les activités commerciales, la normalisation du trafic à El Guerguerat, et l’établissement d’un cordon de sécurité par ses forces. Toutefois, des perturbations supplémentaires de la chaîne de transport et d’approvisionnement restent possibles en cas d’escalade militaire, ce qui amènera probablement le Front Polisario à prendre pour cible les avant-postes et convois militaires marocains sur l’ensemble du territoire contesté.
Contexte
Le conflit au Sahara occidental, ancien protectorat espagnol, remonte à 1975, lorsque l’ONU a demandé à l’Espagne de se retirer du territoire. Rabat a successivement pris le contrôle du territoire et s’est engagée dans un conflit armé avec le Front Polisario jusqu’en 1991, lorsque l’ONU a négocié un cessez-le-feu entre les deux parties.
Outre les diverses ressources du territoire, l’intérêt du Maroc à maintenir son contrôle sur le Sahara occidental réside dans un accès terrestre direct à l’Afrique, une nécessité stratégique, notamment parce que ses frontières avec l’Algérie demeurent fermées depuis 1994. Le Maroc maintient que le Sahara occidental fait partie intégrante de son territoire ; bien qu’il ait offert l’autonomie, il a déclaré qu’il était déterminé à conserver la souveraineté sur le territoire contesté. Le Maroc contrôle près de 80 % du territoire, tandis que la République arabe sahraouie démocratique (RASD) contrôle le reste du territoire. Pendant ce temps, la RASD, qui dirige un gouvernement en exil dans la province algérienne de Tindouf et reçoit le soutien d’Alger, s’est engagée à obtenir son indépendance du Maroc et à créer un pays souverain sur le territoire.
Après le cessez-le-feu de 1991 et dans le cadre de l’accord entre le Maroc et la RASD, l’ONU a mis en place une mission de maintien de la paix — la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (MINURSO) — pour superviser l’armistice et organiser un plébiscite, dans lequel le peuple du Sahara occidental voterait soit pour l’intégration au Maroc, soit pour l’autodétermination. Le référendum ne s’est pas encore concrétisé, en grande partie en raison de désaccords sur les personnes habilitées à voter dans le territoire. L’ONU a annoncé le 31 octobre 2020 qu’elle prolongerait sa mission de maintien de la paix pour un an.
Mesures d’atténuation des risques
Les troubles civils et une présence accrue des forces de sécurité peuvent perturber considérablement les activités commerciales. Le conflit au Sahara occidental étant concentré entre le gouvernement marocain et le Front Polisario, il est peu probable que les visiteurs soient affectés. Toutefois, à mesure que les tensions s’intensifieront, le Maroc interdira probablement aux visiteurs de se rendre sur le territoire contesté. Les voyageurs présents sur le territoire doivent donc éviter toutes les installations militaires, les convois de troupes et les concentrations de forces de sécurité, car ils pourraient être la cible d’attaques de la part du Front Polisario. Il est important de s’assurer que vos ressortissants comprennent les risques pour leur sécurité personnelle et les menaces pour la sécurité liées aux troubles civils.
- Si un membre de votre organisation a prévu un voyage, consultez le dossier de voyage pour le pays et partagez les informations avec vos collaborateurs.
- Transmettez les renseignements sur d’éventuelles manifestations ou protestations afin que les voyageurs puissent éviter la situation.
- Rappelez à vos employés comment accéder aux services d’assistance, comme une ligne d’assistance téléphonique dédiée à l’entreprise, si les voyageurs se trouvent dans une situation potentiellement dangereuse.
- Tenez compte des conseils fournis par les services de police locaux, notamment en ce qui concerne les zones de sécurité spéciales ou les zones de fermeture militaire qui pourraient être annoncées lors d’opérations futures.
- Évitez toute manifestation qui pourrait se développer dans une partie quelconque du Maroc ou du Sahara occidental.
- Planifiez les retards potentiels de transport et les perturbations de la chaîne d’approvisionnement dans le sud du Maroc et le nord de la Mauritanie.