L'investiture du nouveau président américain Joe Biden aura lieu à midi (HNE) le mercredi 20 janvier sur les marches du Capitole à Washington. Depuis l'assaut de ce bâtiment le 6 janvier par des émeutiers violents, alors que les législateurs se réunissaient pour une certification symbolique de l'élection présidentielle, la sécurité a été substantiellement renforcée dans la région de la capitale nationale. Un état d'urgence déclaré au niveau fédéral est en vigueur dans la ville jusqu'au 24 janvier. Les dispositifs de sécurité seront concentrés sur les sites liés à la cérémonie d'investiture mais aussi aux installations du gouvernement dans la capitale ; le service des parcs nationaux (NPS) a déjà annoncé la fermeture du monument de Washington sur le Mall national jusqu'au 24 janvier, et d'autres restrictions pourraient s'appliquer à l'approche du 20 janvier. En date du 13 janvier, seize groupes ont déposé des demandes de permis de manifester dans la capitale, mais la mairie a réclamé aux responsables fédéraux de rejeter ces demandes jusqu'au 24 janvier. Malgré tout, on peut s'attendre à voir des extrémistes de droite se regrouper dans des lieux sensibles avec ou sans permis.
Détails des préparatifs pour la semaine de l'investiture
Environ 20 000 membres de la Garde nationale sont mobilisés pour les événements liés à l'investiture présidentielle. Seuls ceux qui ont pour tâche de protéger le Capitole devraient être armés, mais les responsables gouvernementaux ont la possibilité d'armer rapidement les autres si cela devient nécessaire. Des renforts additionnels seront fournis par la police du Capitole, la police métropolitaine du district de Columbia, la police des Parcs, le bureau d'enquêtes fédéral (FBI), et d'autres forces locales, fédérales et des États (notamment de la Virginie et du Maryland). L'événement sera coordonné en bonne partie par les services secrets américains puisqu'il a été désigné comme Événement spécial pour la sécurité nationale (NSSE). En raison des circonstances extraordinaires qui entourent l'événement cette année, les opérations du NSSE ont commencé dès le mercredi 13 janvier, presque une semaine avant la date habituelle.
En plus des déploiements de sécurité, des mesures ont été prises par les responsables à la fois gouvernementaux et civils pour atténuer les menaces présentées par les extrémistes violents. Les gouvernements du district de Columbia, du Maryland et de la Virginie ont conjointement demandé au public de s'abstenir de voyager dans la capitale durant l'investiture ou les jours précédents, et Airbnb a annoncé l'annulation unilatérale de toutes les réservations dans la région du district de Columbia durant la semaine de l'investiture. Un autre facteur indépendant de la sécurité est le contexte de la pandémie de COVID-19, qui avait déjà forcé les responsables à réduire significativement ce qui serait en temps normal un événement de grande envergure, en demandant au public d'y assister virtuellement par télédiffusion.
Bien que la journée de l'investiture reçoive beaucoup d'attention, des renseignements recueillis dans les réseaux sociaux et les applications de clavardage laissent croire que des groupes extrémistes vont organiser des événements à partir du samedi 16 janvier. La fin de semaine qui précède l'investiture est suivie d'un jour férié, le lundi 18, ce qui facilite l'organisation d'événements potentiellement violents. Le fait que ce jour férié, la Journée de Martin Luther King, revêt une signification particulière quant aux droits civils et aux relations interraciales aux États-Unis n'échappe sûrement pas aux groupes de Blancs nationalistes qui planifient de tels événements. En outre, la perception selon laquelle la sécurité ne sera pas déployée avant la journée même de l'investiture rend les jours précédents plus intéressants pour ceux qui cherchent à prendre part à des actes de violence. Toute initiative réussie de retirer la présidence à Donald Trump avant le 20 janvier, ou encore une résignation de sa part, pourrait accroître encore les risques d'agitation dans la journée de ces développements, s'ils ont lieu.
Acteurs et menaces
Il est difficile d'estimer précisément le risque et les lieux exacts des manifestations ou désordres civils, car ceux-ci sont planifiés par un vaste éventail d'acteurs avec différents niveaux d'organisation et souvent aucun leadership apparent. Des groupes comme les Proud Boys sont faciles à identifier en raison de leur visibilité intentionnelle incluant leurs uniformes, mais la prolifération des réseaux sociaux et autres outils de communication et d'organisation d'événements fait des entités moins homogènes une menace tout aussi sérieuse. Cela inclut les « mouvements » d'envergure comme QAnon et d'autres groupes conspirationnistes, ainsi que des groupes d'extrême-droite comme les Boogaloo Boys et lesa Three Percenters. Il a beaucoup été question dans les médias des ressources nécessaires pour atténuer le risque d'une émeute comme celle du 6 janvier, mais la menace présentée par les acteurs individuels ou en petits groupes a moins été discutée, notamment leur recours potentiel à une violence plus impersonnelle ; deux dispositifs explosifs de circonstance ont ainsi été trouvés le 6 janvier dans les bureaux des partis démocrate et républicain à Washington. De telles menaces sont particulièrement difficiles à déjouer car elles sont cachées, nécessitent peu de ressources humaines, et peuvent causer des dommages considérables sans discernement. Les groupes terroristes y ont recours de longue date contre des cibles vulnérables comme les transports collectifs et les lieux publics fortement achalandés, et l'évaluation des actifs à protéger dans le district de Columbia doit se baser sur une perspective assez large des risques.
Risque de violence dans les capitales des États
Tel que relevé dans un récent bulletin du FBI, des risques secondaires sont présents dans les capitales de tous les États américains, principalement autour de leurs parlements mais aussi de leurs bâtiments gouvernementaux d'importance (tribunaux, résidence du gouverneur, etc.), car des groupes armés ont annoncé leurs intentions d'organiser des assauts ou tout au moins des manifestations simultanément aux événements de Washington. Bien que le bulletin indique que les risques s'appliquent à l'ensemble des 50 États et au district de Columbia, des inquiétudes particulières portent sur les capitales où des événements similaires ont déjà eu lieu, comme Lansing (Michigan) et Sacramento (Californie) et sur les capitales au centre du mouvement “Stop the Steal”, c'est-à-dire Atlanta (Georgie), Harrisburg (Pennsylvanie), Phoenix (Arizona), Madison (Wisconsin) et Lansing (Michigan). L'absence dans ces capitales d'un dispositif de sécurité amélioré comme à Washington font d'elles des cibles beaucoup plus attrayantes pour de nombreux acteurs.
Recommandations de sécurité
- Les clients qui ont des intérêts dans la grande région métropolitaine de Washington devraient éviter tout déplacement non essentiel jusqu'au 20 janvier. S'il leur est nécessaire de se rendre dans la capitale, ils devraient emprunter un itinéraire qui évite le Capitole, East End, Downtown, Dupont Circle, et Foggy Bottom, et Pennsylvania Avenue entre la Maison-Blanche et le Capitole, étant donné le risque élevé de désordre civil dans les prochaines semaines. Les employés en déplacement dans la région de la capitale devraient rester discrets durant leur séjour, éviter les rassemblements politiques, se vêtir de manière conservatrice (sans thématique vestimentaire) et éviter les discussions à caractère politique, surtout dans les lieux publics.
- En cas de déplacement au District de Columbia, les clients devraient préparer un plan détaillé, révisé par leurs responsables de la gestion du risque avant le départ. Le plan devrait inclure tous les horaires de déplacement, numéros de vol, directives de réception et d'orientation, lieux d'hébergement, sites de travail et de regroupements, transports routiers, itinéraires prévus, et noms et coordonnées de tous les hôtes, chauffeurs, collègues et clients locaux. Les voyageurs devraient emporter plusieurs appareils de communication, des batteries de secours, de l'eau en bouteille, des vêtements de rechange, leurs lunettes et leurs médicaments sur prescription le cas échéant. Idéalement, les voyageurs devraient emporter de quoi survenir à leurs besoins pendant au moins 72-96 heures.
- Les employés qui voyagent ou travaillent dans la région métropolitaine du district de Columbia dans les prochaines semaines devraient s'assurer d'avoir un plan de communication. La clé d'un plan de communication efficace est la redondance ; il faut plusieurs moyens de communication, incluant les numéros de téléphone personnel et professionnel, les numéros des hôtels ou des résidences, les adresses de courriel primaire et alternative, les noms utilisés dans les médias sociaux, et les coordonnées d'un proche de confiance. Lors de déplacements dans un environnement dynamique, il est préférable de prévoir plusieurs prises de contact quotidiennes avec des collègues de confiance, superviseurs, contacts locaux et membres de la famille. Un plan de communication doit aussi inclure des procédures d'urgence pour le contrôle du bien-être en face à face, au cas où plusieurs prises de contact soient manquées.
- Si vous logez dans un hôtel de la capitale, demandez une chambre entre le troisième et le cinquième étage pour maintenir une distance avec les perturbations au niveau de la rue tout en facilitant l'accès des secouristes en cas d'urgence. Si possible, évitez les chambres donnant sur un axe majeur. À l'arrivée, enregistrez-vous aussitôt que possible et évitez de vous attarder dans le lobby. Notez toutes les sorties et zones sécuritaires à l'abri des projections et chutes de débris et des balles ou explosions. Marchez au moins jusqu'à deux sorties de secours et comptez le nombre de chambres qui vous en séparent au cas où vous devriez vous déplacer dans la fumée ou l'obscurité. Si des perturbations ont lieu pendant que vous êtes dans votre chambre, verrouillez toutes les portes et fenêtres incluant les portes-patios, et abritez-vous dans la salle de bain.
- En cas de déplacement à pied ou en voiture dans le district de Columbia, les clients devraient éviter toutes les manifestations et prévoir du temps supplémentaire et des itinéraires alternatifs autour des points chauds connus de la ville. Même des manifestations paisibles peuvent donner lieu à des violences ou être réprimées agressivement par les forces de sécurité. Si la violence éclate ou devient imminente, quittez immédiatement les lieux. Si vous en êtes incapable, mettez-vous à l'abri dans un bâtiment public comme un hôtel, une église, un hôpital ou un musée. Évitez de vous abriter dans un bâtiment gouvernemental ou un poste de police à moins que vous y cherchiez de l'aide. Évitez les transports collectifs ; si possible, utilisez des véhicules d'hôtel ou faites appel à un chauffeur de confiance.
- Des passants pourraient être arrêtés ou brutalisés par les forces de l'ordre et les agents de sécurité recourant à des mesures de contrôle des foules. Les personnes exposées au gaz lacrymogène à d'autres produits chimiques doivent se placer face au vent et se distancier des manifestants à proximité. Une fois à l'air frais, rincez les yeux avec de l'eau douce pendant au moins 15 minutes. Les lentilles de contact devront être retirées et jetées. Enlevez vos vêtements contaminés en évitant de les faire passer au-dessus de votre tête. Nettoyez la peau contaminée et les lunettes avec de l'eau et du savon et non des solutions à base d'huile ou contenant des agents de blanchiment.
- Sur la base des renseignements donnés par le FBI, toutes les recommandations ci-dessus s'appliquent de façon égale aux membres du personnel qui travaillent ou voyagent dans les capitales des États, particulièrement à proximité des parlements et autres bâtiments gouvernementaux d'importance.
Auteur(e)(s)
John Stokes
Analyste du renseignement principal, Amériques
Basé aux États-Unis, John Stokes est un analyste principal. Auparavant chargé de recherche à la Fondation Konrad Adenauer, John s'est joint à Drum Cussac en 2014 avant son acquisition par Crisis24. Il...
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