Survol de la situation
La récente tentative déjouée de coup d’État en Allemagne provoque des inquiétudes quant à la menace croissante posée au gouvernement par les extrémistes de droite. Le 7 décembre, 25 personnes suspectées de planifier le renversement du gouvernement ont été placées en détention. La coalition d’activistes d’extrême-droite et d’anciens militaires comptait prendre d’assaut le Bundestag et s’emparer du pouvoir. Les principaux putschistes se réclament de la « Patriotische Union » (Union patriotique, ou PU) et appartiennent au mouvement d’extrême-droite allemand Reichsbürger. Ils avaient établi leur propre cabinet, Der Rat (le Conseil), en vue de diriger le gouvernement après l’avoir renversé. Le mouvement visait à rétablir le régime monarchique selon le modèle de l’Empire allemand, en installant au pouvoir Heinrich XIII, descendant d’une longue lignée d’aristocrates ; il est l’un des deux meneurs présumés parmi les personnes arrêtées lors de descentes de police dans 11 États allemands.
Le plan du mouvement Reichsbürger
Bien que le Reichsbürger n’ait pas d’organisation centrale, on pense qu’il compte au moins 21 000 membres. Leur conviction fondamentale est que l’actuelle République fédérale d’Allemagne, ses institutions et ses responsables démocratiquement élus sont en fait inconstitutionnels. Beaucoup d’adhérents du mouvement sont persuadés que la République fédérale n’est pas un État souverain, mais plutôt une corporation. Ils refusent donc de se soumettre à la volonté du gouvernement, notamment en ne versant pas d’impôt. Certains estiment que la période de 1871 à 1918, lorsque le deuxième Reich ou second Empire allemand a été fondé suite à son unification, avant la première guerre mondiale, est le moment où l’Allemagne a existé dans sa forme « véritable ».
L'objectif du groupe était de faire renaître l’Empire allemand, après avoir pris par les armes le Bundestag, siège de la législature allemande, et pris la tête du gouvernement en procédant à des arrestations extrajudiciaires de législateurs et de responsables fédéraux ; ils planifiaient des exécutions ainsi que le retrait des institutions gouvernementales de tout fonctionnaire jugé déloyal. En tant que prince issu de la noblesse allemande, Heinrich XIII serait alors devenu le nouveau chef d’État. La PU envisageait également de saboter le réseau électrique, et s’était équipée de téléphones par satellite Iridium pour pouvoir communiquer durant leur putsch quand l’électricité serait coupée. Le groupe planifiait ce coup d’État depuis novembre 2021, et selon les procureurs, il envisageait de semer le chaos au préalable en faisant des arrestations politiques en public et en répartissant 280 unités armées dans le pays pour qu’elles procèdent à des arrestations et exécutions. La PU croyait que si les forces de sécurité allemandes l’avait soutenue, elle aurait été en mesure de renverser le gouvernement et de s’emparer du pouvoir.
Les membres de l’Union patriotique (PU)
Plus de 50 des putschistes de la PU étaient également membres du mouvement Reichsbürger. Des partisans de QAnon et des allemands radicalisés du mouvement Querdenken (penseurs latéraux) ont aussi participé au coup d’État. Le mouvement Querdenken a été fondé en opposition aux mesures allemandes dans le cadre de la COVID-19 ; il fait désormais campagne contre les vaccinations. Le procureur de la République fédérale, Peter-Herbert Frank, a fait détenir 25 des 52 individus impliqués dans le coup d’État. Parmi eux, 23 sont demeurés incarcérés jusqu’au 14 décembre.
Le groupe comprenait plusieurs anciens membres du Commandement des forces spéciales (KSK), notamment Rüdiger von Pescatore, ex-lieutenant-colonel du bataillon de parachutes de la Bundeswehr. Le « bras armé » de l’organisation devait être placé sous son commandement. Il est qualifié de « meneur » par le procureur de la République fédérale aux côtés de Heinrich de Reuss-Greiz. M. von Pescatore est présumé avoir tenté de recruter des extrémistes de droite au sein de l’armée et de la police : on compte parmi eux Maximilian Eder, un ancien Oberst de la Bundeswehr, soit à un rang élevé d’officier opérationnel ; Michael Fristsch, un ancien agent de la police criminelle de Hanovre ; et Peter Wörner, un ancien Oberst de Bayreuth qui a fondé une entreprise de formation à la survie. Birgit Malsack-Winkemann, juge et ex-députée du parti populiste d’extrême-droite Alternative für Deutschland (AfD), était également membre et a été arrêtée.
L’intervention
Les responsables de la police allemande se sont intéressés à l’organisation du PU à compter de mars 2021. Certains membres du PU avaient déjà été arrêtés en avril 2022 pour avoir comploté l’enlèvement du ministre fédéral de la santé Karl Lauterbach. Les conspirateurs du putsch proviennent pour la plupart des États méridionaux de la Bavière et du Bade-Wurtemberg, mais comprennent aussi des ressortissants de neuf pays étrangers dont l’Autriche et l’Italie. Un ex-membre du parlement, des aristocrates, et des militaires actifs et retraités ont été détenus, de même que le célèbre chef Frank Heppner qui a été arrêté le 7 décembre.
M. Heppner est accusé d’avoir dirigé l’aile militaire de l’organisation et supervisé le recrutement de nouveaux membres, l’achat d’armes, et la mise en place d’un réseau de communication sécurisé. Selon les procureurs, le groupe a communiqué avec des responsables russes pour discuter du nouvel ordre à établir en Allemagne une fois que le gouvernement serait renversé. Heinrich XIII aurait pris contact avec une femme russe, appelée Vitalia B par les procureurs, pour s’assurer du soutien des Russes. Elle a aussi été arrêtée, en compagnie de Heinrich XIII. Les responsables russes ont nié toute implication dans le coup d’État.
Perspectives pour la suite
Ce coup d’État raté a mis en lumière la menace croissante de l’extrémisme de droite. Le complot prenait d’ailleurs pour modèle l’attaque du Capitole à Washington en janvier 2021. Le mouvement Reichsbürger n’est pas la première organisation d’extrême-droite à comploter pour renverser le pouvoir, mais le putsch déjoué le 7 décembre était de plus grande envergure, plus avancé dans sa planification, et mieux relié à des gens capables de manier des armes. Suite à l’émergence de ce complot, certains législateurs ont évoqué un resserrement des lois sur les armes à feu, mais les membres conservateurs du parlement se montrent hésitants. Ces derniers ont aussi réclamé une enquête pour savoir si les médias avaient été prévenus des arrestations à l’avance.
Puisque plusieurs soldats ont été impliqués et détenus, cela démontre selon les responsables de la police que de dangereux extrémistes peuvent avoir accès à des armes et à des combattants entraînés. Parmi les conspirateurs, on comptait des individus avec des contacts au sein des institutions démocratiques et un accès à de vastes ressources financières. Cela peut représenter une menace en cas de tentatives de putsch futures, car le groupe est considéré comme dangereux, bien connecté, et résilient. Les opérations de surveillance et de sécurité en lien avec le mouvement Reichsbürger vont probablement s’intensifier dans les prochains mois. Étant données les ressources, la popularité, et la forte motivation du groupe, de nouvelles tentatives de coup d’État demeurent possibles. Plusieurs membres influents du groupe sont encore libres, faute de preuves pour justifier leur détention. Les autorités s’inquiètent de voir les récentes arrestations inspirer d’autres passages à l’acte contre le gouvernement de la part de membres du Reichsbürger.
La mise en cause d’étrangers fait craindre de futures menaces de soulèvement, et le risque que l’agitation en Allemagne s’étende à d’autres pays de l’UE. Des putschistes pourraient éventuellement utiliser l’Allemagne comme base de départ pour ensuite mener des actions similaires dans les pays voisins. Il est cependant peu probable que la Russie s’immisce dans toute tentative future de coup d’État car elle demeure concentrée sur son conflit avec l’Ukraine. Toute implication de sa part sera vraisemblablement limitée à un financement indirect et/ou l’accès à des sources de renseignement, et à une assistance dans les cyberattaques, ce qui correspond à son mode opératoire dans le contexte de l’Ukraine.
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Auteur(e)(s)
Ciara Dunne
Global Intelligence Intern
Ciara Dunne is a South Africa-based intelligence intern and joined Crisis24 in October 2022. Before joining, she completed her Honours in International Relations at Stellenbosch University where she...
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