Le 4 avril, les autorités jordaniennes ont révélé avoir déjoué un apparent complot de l'ex-prince héritier Hamza bin al-Hussein pour porter atteinte à la monarchie avec le soutien d'entités « étrangères » qui n'ont pas été nommées. Le prince Hamza a été assigné à résidence et une douzaine de hauts responsables gouvernementaux et de chefs de tribus ont été placés en détention. Ce séisme politique a exposé un clivage dans la famille royale du pays. Le prince Hamza s'est filmé dans deux vidéos pour démentir ces accusations et accuser le gouvernement de corruption et d'incompétence généralisées. Malgré le serment de fidélité qui a suivi, les inquiétudes sur la stabilité politique du Royaume hachémite perdurent et pourraient encourager l'opposition et les islamistes à intensifier leurs remontrances envers le roi Abdallah II.
Des tensions étalées au grand jour
Si les tensions entre le roi Abdallah II et le prince Hamza ne datent pas d'hier, elles n'ont jamais été aussi publiques. Le précédent roi Hussein bin Talal, qui a régné sur la Jordanie de 1952 à sa mort en 1999, avait désigné son fils aîné Abdallah pour lui succéder. Bien que le prince Hamza soit, de l'avis de tous, celui qui était destiné à accéder au trône, le roi Hussein trouvait qu'il était encore trop jeune à 18 ans. Abdallah II l'a rapidement nommé prince héritier de Jordanie afin de rassembler la famille autour de lui et d'atténuer les tensions. Puis en 2004, il lui a retiré son statut d'héritier présomptif pour finalement nommer en 2009 son fils aîné Hussein comme prince héritier.
Les conséquences du schisme royal
Les événements des 3 et 4 avril ont choqué l'opinion publique jordanienne et provoqué des inquiétudes sur l'avenir politique du pays, qui était auparavant perçu comme un havre de stabilité dans une région déchirée par des conflits apparemment insolubles. La dispute rendue publique à la cour royale implique de la politique tribale ; le prince Hamza entretient des relations sur la rive orientale du Jourdain, où se trouvent les principales tribus bédouines, différentes des Palestiniens de la rive occidentale. La majeure partie des militaires et agents de renseignements proviennent traditionnellement de la rive orientale. Des tensions persistent entre les deux rives et pourraient s'aggraver si des membres supérieurs de la famille royale choisissent publiquement un camp ou l'autre.
Il semble que le prince Hamza se soit placé au-devant du roi Abdallah II en rencontrant non seulement des chefs de tribus mais aussi les familles de six victimes de la COVID-19 décédées à l'hôpital Al Hussain New Salt suite à des pénuries d'oxygène. Le prince Hamza aurait activement encouragé des manifestations contre la corruption dans le gouvernement. Bien que les manifestations soient courantes en Jordanie, elles ciblent rarement le roi et sa cour. Cependant, si le prince Hamza continue de critiquer publiquement les autorités, des islamistes comme les Frères musulmans ainsi que d'autres groupes d'opposition se sentiront probablement encouragés à s'en prendre au roi Abdallah II et à ses politiques. Plus le roi se sent menacé et plus son gouvernement risque d'être répressif en termes de restrictions des libertés individuelles et politiques.
Le 5 avril, la cour royale de Jordanie a diffusé une lettre du prince Hamza jurant fidélité au roi et à la constitution. Bien que le clivage soit actuellement en médiation, le désaccord latent entre le roi et l'ex-prince héritier sur la gestion de l'économie et la politique demeure une source d'inquiétude. Les critiques du prince Hamza surviennent à un moment où la Jordanie est vulnérable politiquement, économiquement et socialement. La pandémie de COVID-19 a gravement fragilisé l'économie jordanienne, qui dépend beaucoup du tourisme et de l'aide internationale. De plus, des groupes d'opposants et de manifestants accusent régulièrement le gouvernement de mauvaise gestion économique et de corruption. Faute de réformes structurelles sérieuses sur les plans économique et politique, le gouvernement va probablement faire face à des troubles sociaux dans les prochaines semaines, incluant des manifestations et des actions ouvrières.
Implications pour les affaires et la sécurité
Bien que les autorités jordaniennes aient parlé d'une tentative de coup d'État contre le roi Abdallah II, un tel développement ne pourrait survenir qu'avec l'appui des forces armées et des services de renseignement du pays. Or tous deux demeurent fidèles au roi Abdallah II et sont peu susceptibles de prendre part à des activités pouvant nuire à la structure de pouvoir en place. À court et moyen terme, le roi Abdallah II va probablement remanier son gouvernement comme il l'a déjà fait lors des troubles sociaux précédents, ce qui pourrait entraîner quelques perturbations pour le secteur des affaires.