Des groupes de bénévoles du monde entier sont venus assister le gouvernement turc dans ses opérations de secours, dans une course contre la montre sous des cieux peu cléments.
Préparé par : Chris Clough et Eunet Louw
Dans les premières heures du 6 février, un tremblement de terre de magnitude 7,8 s’est produit à proximité de la frontière entre la Turquie et la Syrie, à 37 km au nord-ouest de Gaziantep. De multiples répliques ont été rapportées dans les heures qui ont suivi, incluant une secousse de magnitude 6,7 à une courte distance de l’épicentre initial. Puis à la mi-journée, un autre tremblement de terre de magnitude 7,5 a été rapporté près d’Ekinözü dans la province de Kahramanmaraş. Des centaines de répliques ont été rapportées dans les jours suivant les deux tremblements de terre, dont un tremblement de terre de magnitude 6,0 à 5 km au nord-est Göksun dans la province de Kahramanmaraş et une secousse de magnitude 5,5 à 9 km au sud-est de Gölbaşı dans la province d’Ankara. Plusieurs répliques d’importance ont été rapportées le 7 février, incluant deux secousses de magnitude 5,5 dans la province d’Adıyaman et un tremblement de terre de magnitude 5,4 dans la province de Matalya. Le 8 février, le bilan des morts en Turquie était de 8 500 avec plus de 40 000 blessés. Le président turc Recep Tayyip Erdoğan a déclaré l’état d’urgence pour trois mois dans 10 provinces du sud-est du pays, alors que l’impact des deux tremblements de terre et de leurs multiples répliques se fait sentir sur une vaste portion du territoire.
Les tremblements de terre et leurs répliques vont grandement affecter de façon durable tous les modes de transports, qu’ils soient terrestres, aériens ou maritimes ; d’importantes perturbations ou suspensions totales d’activité devraient persister. Un incendie majeur s’est déclaré l’après-midi du 6 février dans le port stratégiquement important d’İskenderun, dans la province de Hatay, causant l’arrêt total des opérations et la redirection de tous les navires arrivants vers d’autres ports. L’étendue des dommages causés par l’incendie n’est pas encore connue, mais d’importants dommages structuraux sont déjà constatés. L’aéroport de Hatay (HTY) est fermé pour cause de dommages structuraux, et ceux de Gaziantep International (GZT), de Kahramanmaraş (KCM) et de Şanlıurfa GAP (GNY) sont uniquement ouverts aux vols d’aide humanitaire. Les transports routiers ont été fortement affectés par les deux tremblements de terre, qui ont causé des dommages aux routes et aux ponts. De plus, une forte tempête hivernale a frappé l’ouest et le nord-ouest du pays entre le 4 et le 8 février, venant exacerber les perturbations dans les transports et ralentir les efforts d’assistance internationale, surtout par voies routière et aérienne. Les intempéries ont entraîné des glissements de terrain et des fermetures de routes qui ralentissent les opérations de secours dans l’immédiat.
Bon nombre de gouvernements étrangers ont offert leur assistance à la Turquie sous forme d’aide humanitaire ; cependant, la question n’est pas d’offrir une quantité d’aide suffisante mais de pouvoir l’acheminer jusqu’aux zones qui en ont le plus besoin. Les personnes directement affectées par les tremblements de terre se sont servies des médias sociaux pour appeler à l’aide mais aussi pour critiquer d’apparents retards dans l’intervention du gouvernement. Quatre résidents de la province de Hatay, l’une des régions les plus touchées, ont été arrêtés pour avoir diffusé des « publications provocantes visant à provoquer la peur et la terreur » après qu’ils aient signalé des lacunes dans les opérations de secours sur leur zone. Le 8 février, un groupe de survivants d’Adıyaman s’est rendu au bureau du gouverneur pour protester contre le manque d’implication des responsables restés sur place. Ces derniers ont été escortés par la police vers des lieux sûrs ; mais la possibilité de nouvelles manifestations ne peut être écartée. Les risques de troubles civils sont exacerbés par l’absence de chauffage ou d’électricité dans certains logements temporaires qui ont été érigés dans les zones affectées. D’importants flux migratoires ont rejoint les zones non touchées comme Istanbul, et Turkish Airlines a annoncé en conséquence qu’elle adopterait des tarifs fixes et offrirait des vols gratuits pour rapatrier les citoyens et transporter les bénévoles qui souhaitent apporter leur secours.
Au-delà des opérations de secours immédiates et de l’éventuelle reconstruction, une catastrophe naturelle de cette ampleur aura très certainement des répercussions sur la sécurité. La Syrie voisine, elle aussi très affectées par les secousses, est plongée dans la guerre civile depuis plus d’une décennie ; la situation a été exacerbée par les différences de priorités entre des acteurs externes comme les États-Unis, la Turquie, l’Iran et la Russie. L’État islamique demeure une force puissante et va très certainement tenter d’exploiter la situation en coordonnant des attaques. Pendant ce temps en Turquie, le régime de plus en plus autocratique du président Recep Tayyip Erdoğan se prépare à des élections nationales dans trois mois. Le pays est plongé dans une crise économique, fait face à une menace terroriste substantielle, et joue un rôle important au niveau régional dans la guerre en Ukraine. La Turquie est d’ores et déjà le premier hôte au monde pour les réfugiés, avec plus de 3,5 millions de personnes déplacées, et la Syrie est la première source de réfugiés au monde ; beaucoup des personnes déplacées se trouvaient dans la région frontalière où le premier tremblement de terre a eu lieu, et ont donc été fortement affectées.
Si les gouvernements syrien et turc sont largement préoccupés par les opérations de secours et de rétablissement pour les semaines à venir, des groupes militants vont fort probablement tenter de tirer avantage de la situation. Également, certains enjeux politiques intérieurs pourraient être mis de côté alors que les différents partis s’unissent pour remédier aux besoins humanitaires. Alors que les organismes internationaux, les pays étrangers et les ONG se mobilisent, d’autres complications sont à prévoir. À Damas, le gouvernement Assad fait l’objet de sanctions de la part des États-Unis et d’autres pays, ce qui entrave l’acheminement de l’aide humanitaire. À plus long terme, le nombre de réfugiés risque de devenir un enjeu de premier plan : incapables de revenir en Syrie ou de demeurer dans les provinces frappées par les secousses, beaucoup vont chercher à émigrer en direction de l’Europe. Les ONG spécifiquement dédiées au soutien des réfugiés pourraient faire face à des critiques de la part des populations nationales si celles-ci ressentent que les réfugiés prennent priorité.
Les effets à long terme de ces tremblements de terre vont exacerber une région déjà fragilisée par la guerre civile, le terrorisme intérieur, le ralentissement économique, et les défis humanitaires liés à une forte concentration de réfugiés. Des éruptions de maladies et des flux migratoires accrus sont à envisager à moyen terme. En même temps, il est possible que l’envergure de la catastrophe vienne encourager la coopération régionale et internationale car les gouvernements syrien et turc auront du mal à résoudre seuls les défis qui se présentent à eux.
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