Les manifestations suite à la mort de Mahsa Amini sont devenues le point de ralliement de millions d’Iraniens, surtout des femmes, qui réclament l’égalité entre les sexes ainsi que des réformes politiques.
La situation sur le terrain
Les femmes continuent d’organiser et de mener des manifestations en opposition au gouvernement et aux politiques de la République islamique d’Iran. Depuis la mi-septembre, quand les manifestations ont commencé dans l’ensemble du pays suite à la mort de Mahsa Amini, une femme kurde iranienne de 22 ans, au moins 150 manifestants ont été tués et des centaines d’autres blessés. Selon les organisations de défense des droits humains, les autorités ont détenu des centaines de manifestants afin d’exercer une répression et de décourager les femmes de poursuivre leurs revendications contre le gouvernement.
Les manifestations se sont graduellement changées en une révolte de portée nationale. Cependant, il serait trompeur de les comparer aux manifestations violentes du passé telles que le Mouvement vert de 2009 ou les actes de désobéissance civile de 2019 en réaction à la hausse des prix de l’essence. Les manifestations sont devenues plus fréquentes au cours des dernières années ; alors qu’on en rapportait 4000 en 2021, plus de 2220 ont eu lieu dans la première moitié de 2022. Ces manifestations sont motivées par un vaste éventail de griefs incluant la détérioration des conditions socio-économiques, les revendications des femmes et des minorités ethniques et religieuses en matière d’égalité des droits, et les critiques envers les politiques discriminatoires du gouvernement.
Les récentes manifestations amènent les observateurs de longue date du pays à se demander si une sorte de révolution est en train de prendre forme. Bien que le gouvernement iranien actuel ait rarement fait face à des manifestations d’une telle envergure, il serait prématuré de penser que son emprise sur le pouvoir puisse être compromise. Tous les leviers de l’appareil étatique ont été mis en place de manière à assurer la continuité de l’élite dirigeante. Néanmoins, là où il était auparavant impossible de croire à une remise en cause sérieuse du gouvernement, il est désormais possible d’entrevoir qu’un groupe de citoyens persistants et déterminés pourrait représenter une menace importante pour la stabilité politique de l’Iran.
L'élément déclencheur
Les manifestations ont initialement éclaté en réaction à la mort de Mahsa Amini au cours de sa détention par le « Gasht-e Ershad », la police iranienne de la moralité. Mme Amini était accusée d’avoir enfreint la loi iranienne qui oblige les femmes à porter le hijab. Sa mort est devenue un cri de ralliement pour des millions d’Iraniens, qui réclament l’abolissement du Gasht-e Ershad entre autres réformes. Depuis le début des manifestations, les véhicules verts et blancs de la police de la moralité ont apparemment cessé de patrouiller les rues de Téhéran. Néanmoins, il reste à voir si les autorités vont accorder davantage de concessions pour calmer l’agitation.
Analyse et développements possibles
Le gouvernement iranien n’a encore reconnu aucune responsabilité dans la mort de Mme Amini. Les autorités ont expliqué sa mort par des troubles médicaux pré-existants. Son père conteste cependant cette justification et affirme que sa fille a été battue à mort. De son côté, le Guide suprême de l’Iran, l’ayatollah Ali Khamenei, a accusé les États-Unis et Israël de fomenter les troubles sociaux dans le pays. Cela a eu pour effet de rediriger la colère des manifestants vers Ali Khamenei et son second fils Mojataba, considéré comme probable successeur au poste de Guide suprême. Les manifestations n’ont pas hésité à scander « Mort à Khamenei » et « Mort au dictateur ». Si ces cris ont déjà été entendus lors de précédentes manifestations, ils résonnent désormais dans l’ensemble de la société iranienne. Ce ne sont plus seulement les femmes et leurs alliés masculins qui manifestent : les travailleurs iraniens du pétrole se sont joints à eux en solidarité le 10 octobre, à Abadan et à Asaluyeh. Leur appui est significatif car le secteur pétrolier pèse un poids important dans les finances du gouvernement.
Les manifestations de 2009 suite à une élection présidentielle frauduleuse étaient menées par les modérés et la classe moyenne iranienne. Celles de 2019 avaient éclaté dans les couches sociales les plus pauvres. Mais le mouvement actuel mené par les femmes attire des Iraniens de toutes sortes. Les manifestants ont adopté le slogan « Zan, Zendagi, Azadi » qui signifie « Femmes, Vie, Liberté ». Ce sont des revendications particulièrement importantes pour les jeunes Iraniens nés depuis 2000, qui sont peu enclins à tolérer les politiques du gouvernement, surtout quand elles restreignent leurs libertés et droits individuels, autant que leurs parents et grands-parents ont pu l’être.
Ceci dit, il est peu probable que les autorités proposent des réformes sociales et politiques majeures. Le hijab est un des piliers idéologiques du gouvernement, et s’il venait à être retiré, il est difficile d’imaginer comment le gouvernement iranien pourrait justifier son maintien au pouvoir. Même si les manifestations ne montrent aucun signe d’essoufflement, surtout maintenant que les étudiants les ont rejointes, les moyens coercitifs du gouvernement demeurent importants. Les autorités peuvent déployer l’Artesh, l’armée régulière iranienne, ainsi que le Corps de garde des révolutionnaires islamiques qui a été fondé en 1979 précisément pour protéger les valeurs de la révolution. Il y a en outre la Basij, ou l’Organisation pour la mobilisation des opprimés (Sazeman-e Basij-e Mostazafen), établie en 1980 dans le but de museler les dissidents et de réprimer l’agitation sociale.
On ignore l’effectif exact de la Basiji ; bien que le gouvernement affirme qu’elle comprend plus de 15 millions de membres, le véritable nombre est probablement plus proche de 4 millions. Mais cela demeure une force significative dans un pays de 83 millions d’habitants. Si les membres de la police et de l’Artesh se montrent hésitants à employer la force contre les manifestants, les membres de la Basij n’auront pas de tels scrupules. De plus, l’un des ingrédients essentiels d’une révolution réussie est l’existence d’une alternative à la structure de gouvernance en place. Le mouvement des femmes iraniennes n’a actuellement aucun chef et n’a pas encore présenté de plan d’action ou de vision politique alternative pour l’avenir.
Le gouvernement iranien va certainement poursuivre sa répression des manifestants et imposer des restrictions sur l’accès à internet pour entraver leurs efforts de mobilisation. Il devrait en outre accentuer la surveillance et le harcèlement des visiteurs étrangers. Le ministère français des affaires étrangères a d’ailleurs émis un avertissement aux voyageurs les enjoignant à quitter l’Iran le plus vite possible, en raison des risques de détention arbitraire. D’autres pays européens vont probablement émettre des avertissements similaires dans les prochains jours et semaines. Le 6 octobre, la télévision d’État iranienne a diffusé les confessions alléguées de deux Français détenus par la république islamique pour incitation au désordre social lors d’une grêve des enseignants en mai dernier.
Les menaces de détention et d’emprisonnement arbitraires de ressortissants étrangers, notamment occidentaux, vont probablement persister en Iran dans un avenir rapproché. Les forces de sécurité détiennent régulièrement des étrangers d’origine iranienne pour des motifs de sécurité ou d’espionnage. Les visiteurs étrangers, surtout occidentaux, s’exposent à des interrogations, des mises en détention et des emprisonnements, particulièrement s’ils ont des liens avec des agences militaires ou gouvernementales. Les responsables de la sécurité iraniens ont toujours été suspicieux envers les voyageurs occidentaux et les Iraniens en transit avec un pays d’adoption. À la lumière des tensions soutenues avec les États-Unis et ses alliés, et face aux manifestations anti-gouvernementales qui persistent, l’Iran va certainement resserrer son contrôle des voyageurs et des Iraniens de double nationalité qui sont de passage dans le pays.
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