Depuis le début de 2021, les signes d'une érosion de la démocratie se multiplient en Afrique occidentale, et provoquent des inquiétudes quant à l'environnement opérationnel des organisations et multinationales dans la région. Au Niger, une tentative présumée de coup d'État contre le président nouvellement élu Mohamed Bazoum a eu lieu au mois de mars, et le général Mahamat Idriss Déby a pris le pouvoir au Tchad en avril. Le plus récent incident de la sorte s'est produit en Guinée le 5 septembre.
La faiblesse des systèmes étatiques alimente les tensions politiques
Alpha Condé, premier président élu démocratiquement en Guinée, était perçu comme un modernisateur lors de son arrivée au pouvoir en 2010, mais s'en est vite remis à des pratiques autoritaires. La répression des personnalités et partisans de l'opposition, incluant l'emprisonnement de nombreux activistes politiques, s'est ensuivie de violations des droits fondamentaux tels que des interdictions de manifester, des restrictions à la liberté de la presse, et de suspicions de pratiques électorales déloyales. La corruption à tous les niveaux de l'État ainsi qu'une mauvaise gestion de l'économie ont finalement fait perdre ses soutiens au président Condé.
La réforme constitutionnelle de mars 2020, qui lui a permis de se présenter pour un troisième mandat controversé, a provoqué l'ire des groupes d'opposants politiques et a donné lieu à des manifestations d'envergure ainsi qu'à des affrontements avec les forces de sécurité. La violence qui s'est ensuivie a fait de nombreux morts et d'importants dommages, contribuant à miner la popularité du président Condé. Le mécontentement s'est généralisé en juillet 2021 quand le gouvernement a augmenté les taxes sur plusieurs biens incluant l'essence, provoquant une hausse des prix. Le pays s'est enfoncé dans une crise économique perçue comme le résultat de nombreuses années de faible gouvernance et de corruption. Les enjeux politiques et économiques, mêlés à la pandémie de COVID-19 ont finalement poussé le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya à prendre la tête du coup d'État qui a renversé le président Condé le 5 septembre.
M. Doumbouya a dit souhaiter « mettre fin à la mauvaise gouvernance » avec ce coup d'État, qui a été chaudement reçu. Des rassemblements festifs ont eu lieu dans plusieurs régions incluant Conakry. Le Comité national de la réconciliation et du développement (CNRD), créé par M. Doumbouya, a pris le pouvoir et annoncé la suspension de la constitution et la dissolution du gouvernement; des commandants militaires régionaux ont aussi remplacé les gouverneurs civils. Un gouvernement d'unité nationale doit être mis en place pour effectuer une transition dont les détails n'ont pas été annoncés.
Réactions des organisations de la région
Il est difficile pour les organisations internationales comme l'Union africaine (UA) et la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) d'édicter des mesures restrictives en réponse à un coup d'État. Si la CEDEAO devait imposer des sanctions contre les juntes, cela aurait un impact important sur l'activité commerciale. Les sanctions imposées par la CEDEAO dans la foulée du précédent coup d'État au Mali, en août 2020, ont perturbé les chaînes d'approvisionnement dans la région, affecté négativement l'économie, et causé un mécontentement généralisé. Pour ces raisons, la CEDEAO a décidé de ne pas imposer de sanctions à la Guinée.
Cependant, l'organisation a décidé de geler les actifs financiers des membres de la junte et de leurs familles et de leur interdire de voyager, en insistant pour une période de transition courte, inférieure à six mois. Reste à savoir si ces moyens de pressions suffiront à forcer la junte à respecter cette condition et à faciliter le retour à un régime démocratique.
L'apparent soutien des populations locales aux derniers développements politiques rend la situation d'autant plus complexe. La destitution d'un dirigeant pourrait être perçue comme nécessaire si l'intention était de mettre fin à un régime dictatorial ou inefficace, de renverser un gouvernement qui n'assure pas le bien-être de ses citoyens et la sécurité de son territoire, ou d'évincer des dirigeants qui modifient les lois nationales afin de conserver le pouvoir. Mais le niveau de soutien populaire empêche aux organisations internationales d'imposer des sanctions qui seraient accueillies avec mépris.
Poursuite des investissements et des opérations
Les pays qui ont une présence importante en Guinée vont vouloir s'assurer que les développements politiques ne perturbent pas leurs intérêts économiques. La société russe Rusal, plus gros producteur mondial d'aluminium, exploite en Guinée des mines de bauxite, principal composant de ce métal. L'incertitude économique qui a suivi le coup d'État a fait grimper les cours mondiaux de l'aluminium, poussant la Russie à dénoncer le coup d'État et à réclamer un retour aux normes constitutionnelles. L'impact potentiel du coup d'État sur l'avenir de l'extraction du bauxite a certainement influencé cette réaction russe.
De nouvelles tensions politiques entourant la transition risqueraient de détériorer l'environnement d'affaires. Des règles de transition perçues comme déloyales, une hausse de l'insécurité, et des difficultés économiques pourraient entraîner le mécontentement. Les troubles civils et la violence qui s'ensuiraient pourrait faire dérailler la transition tout en perturbant substantiellement les opérations commerciales. Les manifestations, les barrages, les actes de vandalisme, ou encore la multiplication des grêves sont des signes de détérioration de l'environnement d'affaires. La stabilité de l'environnement opérationnel en Guinée dépendra donc de la façon dont les dirigeants actuels transfèrent le pouvoir à l'autorité civile – s'ils le font.
Perspectives
Si le retour au régime civil se produit en 2022, la Guinée connaîtra certainement une période d'instabilité accrue, comme d'autres nations en Afrique occidentale. Les systèmes étatiques fragilisés par des années de mauvaise gestion combinée à une lente sortie de la pandémie de COVID-19 vont probablement faire croître les tensions politiques.
Les incertitudes quant à la stabilité politique ont engendré une hausse des troubles civils qui pourrait impacter les opérations d'affaires et les prix des matières premières sur les marchés mondiaux. Dans les zones déjà soumises à des défis en raison d'un manque d'infrastructures et d'une corruption généralisée, l'aggravation de la situation politique et de sécurité pourrait exacerber ces défis aux opérations d'affaires.
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