Des étudiants universitaires de Chengdu commémorent les victimes de l’incendie du 24 novembre à Urumqi, qui a servi de déclencheur national des manifestations contre les restrictions anti-pandémiques.
Situation actuelle
À la fin novembre, un niveau sans précédent de désobéissance civile en protestation contre la politique « zéro COVID » de la Chine a été observé partout au pays, incluant dans de grandes villes comme Pékin, Shanghai et Wuhan. Si quelques épisodes de défiance des confinements avaient eu lieu auparavant à petite échelle, notamment à Canton et dans une usine de Zhengzhou, le déclencheur de la « révolution A4 » ou « révolution blanche » a été un incendie résidentiel survenu le 24 novembre à Urumqi dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang, qui a fait 10 morts. En plus de réclamer la fin des mesures strictes de lutte à la pandémie, des slogans demandant une plus grande liberté politique – et même dans certains cas la démission du président Xi Jinping – sont apparus pendant les manifestations.
Au lieu d’une répression brutale, les autorités ont opté pour des mesures de suivi et de dissuasion. Par exemple, il a été rapporté que les autorités ont contacté certains participants pour leur demander de ne pas se joindre à d’autres manifestations à l’avenir. Pendant ce temps, les responsables ont aussi renforcé les mesures pour empêcher les manifestants de se réunir, incluant une augmentation des patrouilles de police et l’installation de barricades et de barrages routiers. Ces tactiques ont jusqu’ici permis de réduire l’envergure des rassemblements en comparaison à ceux qui s’étaient produits entre les 26 et 28 novembre.
La pointe de l’iceberg
La Chine est la dernière grande économie à continuer d’imposer des restrictions strictes en lien avec la COVID-19. Si ses responsables ont évité de répéter les confinements de masse comme celui de Shanghai plus tôt cette année, ils continuent d’imposer des confinements à petite échelle, à un niveau communautaire, dans le cadre de leur politique « zéro COVID ». Ce sont de telles restrictions qui, le 24 novembre, ont empêché l’intervention des secours lors de l’incendie d’un bâtiment à Urumqi. Cet incident a été le déclencheur des manifestations contre les mesures de lutte à la pandémie.
Cependant, les effets néfastes des confinements sur l’activité économique et la vie quotidienne ne sont pas la seule source de mécontentement des citoyens. Les responsables sont également aux prises avec le mouvement de « l’allongement à plat », où de jeunes travailleurs désillusionnés par leur stagnation socio-professionnelle cessent d’adhérer aux visées nationales de développement qui visent à stimuler la consommation intérieure et à atteindre l’indépendance technologique. Pendant ce temps, la chute du marché immobilier a fait déborder la grogne populaire, le gouvernement tente de résoudre un défi démographique de longue date, et le ralentissement économique se poursuit sous l’effet de la pandémie. On observe aussi des inquiétudes quant à l’avenir politique du pays suite au 20ème congrès du Parti communiste chinois (PCC) à l’occasion duquel Xi Jiping a consolidé son pouvoir. Selon le Financial Times, l’événement a poussé bon nombre d’individus fortunés à fuir le pays, par peur des hausses d’impôt et des risques pour leur sûreté personnelle, illustrés par les récentes disparitions de personnalités de premier plan comme Jack Ma, le fondateur d’Alibaba.
Perspectives pour la suite
La réaction de Pékin aux manifestations de citoyens va au-delà de la simple répression, et implique habituellement des accusations portées à des acteurs étrangers qui tenteraient de fomenter des « révolutions de couleur ». Cependant, malgré de petites manifestations organisées par des citoyens chinois hors du pays, les pays occidentaux se sont jusqu’ici abstenus de commenter directement les troubles civils. Plusieurs continuent de diffuser des avertissements sur les voyages en Chine. Les États-Unis par exemple, dans un avis du 28 novembre, encouragent leurs ressortissants dans le pays à prévoir 14 jours de provisions pour faire face à d’éventuels confinements liés à la COVID-19. L’absence de critiques explicites par la communauté internationale a réduit la capacité de la Chine à miser sur l’orgueil national pour faire cesser spontanément les manifestations. En outre, comme la plupart des manifestations dans le monde ces dernières années, le mouvement de protestation actuel en Chine n’est guidé par aucun chef, et fait appel à l’internet comme principal outil de mobilisation. Si cela rend difficile son éradication, les autorités chinoises ont tout de même un niveau de contrôle sans égal. Leurs mesures de surveillance nuisent aux activistes qui souhaitent planifier des rassemblements ; ceux-ci recourent alors à des prétextes légitimes en apparence, comme la mort de l’ancien président Jiang Zemin le 30 novembre, pour se mobiliser.
Malgré un degré de défiance sans précédent, les récentes manifestations ne menacent pas la stabilité politique de la Chine. Avec ses technologies et systèmes de surveillance évolués, le pays est bien équipé pour faire face aux manifestations, aux émeutes, et à d’autres mouvements civils d’origine populaire. Au contraire, les récents événements pourraient donner lieu à une plus forte consolidation du pouvoir par Xi Jiping, en lui offrant une nouvelle justification pour renforcer son contrôle de l’État sous prétexte de maintenir la sécurité intérieure et/ou nationale.
Un abandon complet de la politique « zéro COVID » est peu probable à moyen terme. People’s Daily, journal officiel du gouvernement chinois, a publié un article peu après le début de l’agitation actuelle, où il mentionnait que le pays était déterminé à atteindre son objectif « zéro COVID ». Cette politique est vue comme une composante clé de l’héritage politique de Xi Jiping, et il a rappelé lors du 20ème congrès du Parti que la nation « donne priorité à la vie des gens en adhérant la dynamique du zéro COVID ». Tout changement d’objectif pourrait donc impliquer une erreur, ou même un échec dans l’atteinte de cet objectif. Néanmoins, on peut s’attendre à de légers assouplissements des mesures anti-pandémiques du pays. Quelques gouvernements locaux ont levé certaines restrictions pour apaiser le public dans les dernières semaines, et l’administration sociale pourrait finir par imposer un ensemble uniforme de mesures plus flexibles et/ou assouplies pour harmoniser les différentes politiques régionales. Les responsables du Parti pourraient aussi rediriger la grogne populaire vers les autorités locales en blâmant leur mauvaise gestion de la COVID-19, et punir des responsables dans le but de mettre fin aux manifestations. Cependant, le « zéro COVID » est là pour rester, si ce n’est que d’une manière rhétorique.
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