Les tensions se sont accrues entre Le Caire, Kharthoum et Addis Ababa depuis que cette dernière a entamé en avril 2011 la construction d'un barrage de plusieurs milliards de dollars sur le Nil Bleu, le « Grand Barrage de la Renaissance Éthiopienne » (GBRE). Bien que le gouvernement égyptien juge le Nil indispensable à sa survie, l'Éthiopie considère le barrage comme un élément incontournable de sa transformation économique. Les représentants égyptiens, éthiopiens et soudanais mènent actuellement des négociations en vue d'une entente acceptable pour les trois parties.
Le GBRE doit fournir de l'électricité à 65 % des Éthiopiens qui n'ont actuellement pas accès au réseau, et faire de l'Éthiopie un pays exportateur d'électricité. Le gouvernement a probablement aussi l'intention d'utiliser ce barrage, le plus grand projet hydroélectrique jamais réalisé en Afrique, comme instrument géopolitique pour étendre son influence à travers le continent. Cependant, l'Égypte s'inquiète de voir le barrage limiter le débit d'eau du Nil sur son territoire. Environ 95 % des 100 millions d'Égyptiens vivent au long des rives du Nil, qui fournit 90 % de l'eau potable du pays.
L'importance du Nil pour l'Égypte et celle du GBRE pour l'Éthiopie expliquent la rhétorique belliqueuse adoptée par les dirigeants des deux pays, qui n'ont d'ailleurs pas écarté la possibilité d'un conflit militaire. La possibilité d'un conflit entre les deux pays reste néanmoins extrêmement faible, principalement parce que le remplissage du réservoir et l'achèvement du barrage doit prendre encore plusieurs années. Les deux pays ainsi que le Soudan parviendront probablement à un accord d'ici là.
La décision unilatérale d'Addis Ababa d'entamer le remplissage du réservoir à la fin juillet, malgré les protestations répétées de l'Égypte et du Soudan, a exacerbé les tensions entre les trois pays. Depuis le début de la construction du barrage, ils avaient collaboré en vue d'un accord juridiquement contraignant sur l'échéancier de remplissage du réservoir. L'Égypte et le Soudan voulaient aussi obtenir des garanties que l'Éthiopie relâcherait de l'eau du réservoir dans les périodes de sécheresse prolongée.
À ce jour, l'Éthiopie s'est refusée à prendre de tels engagements, malgré les efforts des États-Unis, des Nations Unies et de l'Union africaine pour faire aboutir un accord juridiquement contraignant entre les trois pays. La construction du barrage par l'Éthiopie est d'autant plus controversée que les Égyptiens ont des revendications territoriales historiques sur le Nil. Le fleuve est devenu indissociable de l'histoire du pays et de son identité nationale.
Plus long fleuve du monde, le Nil parcourt 11 pays d'Afrique. Bien que l'Égypte et le Soudan revendiquent des droits exclusifs sur ses eaux, le Nil provient de deux affluents, le lac Victoria (Nil Blanc) et le lac Tana (Nil Bleu) dans les hauts plateaux éthiopiens. Environ 85 % de l'eau qui atteint l'Égypte provient du lac Tana, et le reste du lac Victoria. Les Égyptiens se fient à deux traités britanniques de 1929 et de 1959 pour soutenir leurs revendications. Celui de 1959 stipulait qu'aucune installation d'irrigation ou d'hydroélectricité ne devrait être construite sur le Nil sans l'accord du gouvernement égyptien. Le traité établissait à 66 % le débit d'eau annuel du Nil vers l'Égypte et à 22 % vers le Soudan, le reste étant perdu en évaporation. Même si 85 % de l'eau qui atteint l'Égypte provient d'Éthiopie, Addis Ababa n'en avait tiré aucun bénéfice jusqu'à récemment.
L'Éthiopie ne reconnait pas les traités britanniques, rejette les revendications historiques de l'Égypte sur le Nil, et a indiqué sa volonté de procéder au remplissage du réservoir et à la construction simultanée du barrage, au désarroi du gouvernement égyptien. Le 21 juillet, le gouvernement éthiopien annonçait avoir atteint son objectif de remplissage pour la première année. Le réservoir contient actuellement 4,9 milliards de mètres cubes (Gm3) et doit atteindre 74 Gm3 dans les années à venir. L'Égypte a réclamé à l'Éthiopie l'arrêt du remplissage jusqu'à ce qu'un accord juridiquement contraignant soit conclu. Elle a aussi demandé à être partie prenante dans les décisions sur les opérations du barrage et la gestion du processus.
En outre, l'Égypte a indiqué que tout accord futur devra reconnaitre son droit à 55 Gm3 d'eau du Nil. Elle reçoit en moyenne 49 Gm3 en provenance du Nil Bleu chaque année, et souhaiterait voir l'Éthiopie accepter de maintenir ce volume. Celle-ci a cependant refusé toute concession sur le volume d'eau précis que le GBRE laissera passer.
Les Égyptiens ont exprimé de façon persistante leurs inquiétudes sur le GBRE et son impact sur leur approvisionnement en eau. Leur ministre des affaires étrangères, Sameh Shoukry, a prévenu que le GBRE était un projet d'une envergure suffisante pour compromettre la sécurité et la survie d'une nation toute entière. Un « tweet » de son homologue éthiopien Gedu Andargachew, proclamant « Le Nil est à nous », n'a fait qu'exacerber les tensions.
Le Soudan, qui se trouve en aval comme l'Égypte, n'a pas été aussi véhément dans sa condamnation des actions de l'Éthiopie en lien avec le GBRE. Cela s'explique par ses intentions d'acheter de l'électricité éthiopienne à bas coût une fois le barrage opérationnel. Le soudan espère également que le GBRE réduira les risques d'inondations saisonnières, régularisera le débit du fleuve, et protègera ses propres barrages en réduisant leur ensablement. Plusieurs autres pays riverains du Nil Blanc, comme le Kenya, le Rwanda, la Tanzanie et l'Ouganda, ont reconnu le droit de l'Éthiopie à construire un barrage car ils ne souhaitent pas voir l'Égypte s'accaparer la propriété du Nil, et aussi parce qu'ils comptent éventuellement y bâtir leurs propres barrages.
La construction du GBRE et le remplissage du réservoir ont suscité des inquiétudes quant à la possibilité d'un conflit armé entre l'Égypte et l'Éthiopie. En 1979, le président égyptien Anwar Sadat a déclaré que l'eau était l'unique raison pour laquelle l'Égypte pourrait entrer à nouveau en guerre. Plus récemment, le ministre des affaires étrangères Sameh Shoukry a indiqué que toute menace substantielle du GBRE à la sécurité de l'eau en Égypte constituerait une ligne rouge, et que le pays réagirait avec fermeté si sa sécurité et ses intérêts économiques se trouvaient menacés. De leur côté, les dirigeants éthiopiens ont fait des déclarations tout aussi conflictuelles.
Il est très peu probable de voir survenir un conflit militaire car celui-ci serait néfaste aux intérêts des deux pays. Étant données l'importance du GBRE pour l'Éthiopie et celle de l'eau du Nil pour la sécurité alimentaire de l'Égypte et du Soudan, les négociations sont la seule façon d'aller de l'avant. Mais un accord ne sera possible entre les trois pays que lorsqu'ils accepteront de faire des compromis importants.