Les tensions sont appelées à persister autour du détroit de Taïwan suite à la visite de la présidente de la Chambre des représentants américaine, Nancy Pelosi, et aux exercices militaires sans précédent effectuées par la Chine autour de la nation insulaire du 4 au 8 août. Ceux-ci ont permis à plusieurs branches de l’Armée populaire de libération de la Chine (APL) de mener des opérations conjointes à grande échelle, et de démontrer ainsi les progrès qu’elle a accomplis après deux décennies de modernisation. Les manœuvres ont également permis de tester la mise en place d’un blocus de Taïwan, une tactique sur laquelle compte Pékin pour convaincre Taipei de capituler lors d’un éventuel conflit autout du statut de l’île, plutôt que d’entrer dans un affrontement direct.
Les dirigeants chinois craignent que le gouvernement de Taipei déclare son indépendance, enhardi par les démonstrations de soutien des États-Unis, son principal fournisseur militaire. Ces inquiétudes ont été accentuées par les gaffes rhétoriques alléguées du président américain Joe Biden à l’effet que les États-Unis défendraient Taïwan si un conflit devait survenir, en rupture avec la politique officielle plus ambiguë jusqu’alors. Bien que les responsables de l’administration Biden aient tempéré les propos du président, ceux-ci ont indubitablement alimenté la méfiance de Pékin. De plus, Taïwan n’a réussi à attirer qu’un soutien limité sur le plan international au cours des dernières années, à mesure que les relations des principales puissances prennent la forme d’une compétition entre l’autocratie et la démocratie. Dans ce contexte, la décision par la Chine de mener des exercices souligne la gravité de la provocation associée à la visite de Nancy Pelosi. Parce qu’elle est la plus haute représentante du gouvernement américain à visiter Taïwan depuis 25 ans, et qu’elle est seconde dans la ligne de succession à la présidence, la visite de Mme Pelosi à Taïwan a engendré la nécessité de faire une démonstration symbolique d’envergure afin de décourager l’implication accrue des États-Unis et des autres gouvernements occidentaux.
Malgré la colère de Pékin suite à cette visite, l’APL a annoncé et spécifié les zones où auraient lieu ses exercices, afin de réduire la possibilité d’un accident pouvant découler sur un conflit. L’APL s’est également retenue de pénétrer les eaux territoriales de Taïwan, ce qui aurait entraîné une réponse de l’armée taïwanaise ou de ses fournisseurs militaires. Les exercices ont donné lieu à des annulations de vols lorsqu’ils ont commencé, et plusieurs compagnies aériennes et transporteurs maritimes ont modifié leurs itinéraires durant leur déroulement, mais peu de perturbations substantielles ont été observées. À Taïwan, les manœuvres de l’APC n’ont pas affecté les activités et les transports de tous les jours.
Au-delà des exercices militaires, la Chine a lancé des dizaines de cyberattaques contre des cibles taïwanaises suite à la visite de Mme Pelosi, et a interdit les importations de certains produits agricoles. Mais il s’agissait en grande partie de gestes symboliques, même si la Chine a les capacités de mener des cyberattaques d’envergure à Taïwan. Les produits agricoles ne concernent que moins d’un pour cent des exportations de Taïwan vers la Chine, et même si d’autres interdictions d’importations demeurent possibles, il reste peu probable d’assister à une intensification majeure de la punition économique de Taïwan. Les usines chinoises ont besoin des semiconducteurs et puces de Taïwan pour fabriquer des produits électroniques, et la croissance économique de la Chine continentale a nettement ralenti en 2022 alors que l’approche « zéro Covid » donnait lieu à des confinements dans des centres de production majeurs et à des interruptions dans les transports. Pékin ne devrait donc pas créer de perturbations inutiles dans les chaînes d’approvisionnement qui lui sont essentielles.
Cependant, la visite de Mme Pelosi et les exercices militaires qui l’ont suivie ont légèrement affecté le status quo autour du détroit de Taïwan. Des incursions au-delà de la fameuse ligne médiane, une démarcation respectée mais non légale à mi-chemin entre le continent et Taïwan, se sont produites sporadiquement au cours des dernières années alors que se multiplient les sorties aériennes de l’APL au-dessus du détroit. Pendant les exercices du mois d’août, des aéronefs et navires de l’APL ont traversé la ligne quotidiennement. De manière préoccupante, des analystes militaires chinois ont déclaré que l’APC allait poursuivre ses exercices à l’est de la ligne médiane à compter de dorénavant. Bien que leur objectif soit essentiellement la provocation, les patrouilles et exercices à proximité de Taïwan accroissent les risques d’accident ou d’erreur, et donc d’escalade vers un conflit plus élargi. On ne peut déterminer si les responsables chinois vont continuer d’opérer dans ces eaux ou de mener des exercices par-delà la ligne médiane pour exprimer leur mécontentement face à des provocations plus modérées de Taïwan ou des États-Unis. Le Taiwan Policy Act, un projet de loi américain visant à désigner Taïwan comme un allié majeur du pays hors de l’OTAN et à lui fournir 4,5 milliards de dollars d’aide militaire, pourrait provoquer à nouveau des réactions de la Chine dans le détroit de Taïwan.
Ceci étant dit, des combats militaires entre les deux armées dans le détroit de Taïwan demeurent peu probables. La Chine n’est dans l’obligation de reprendre Taïwan par la force que si le gouvernement de la nation insulaire déclare l’indépendance. Même dans un contexte d’escalade rhétorique, les responsables de Pékin ont souvent réitéré qu’ils préféraient une solution pacifique à la question de Taïwan. Leurs déclarations indiquent que la réflexion de Pékin sur les bénéfices de prendre Taïwan par la force n’a pas changé. Bien que certains observateurs doutent de la capacité de la Chine à s’emparer de Taïwan, il est difficile d’évaluer le prix que son gouvernement serait prêt à payer pour y parvenir, puisqu’une victoire rapide est peu probable. L’APC n’a pas encore fait ses preuves en situation de combat, et les 180 km de traversée du détroit rendent ses ressources vulnérables face à ses adversaires. Taïwan continue d’investir dans sa défense en achetant des armes et en accroissant sa production nationale de missiles. Le coût d’un affrontement pour l’armée et pour l’économie de la Chine continentale devrait donc la dissuader de toute attaque de Taïwan non provoquée dans l’avenir prévisible.
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