Le renforcement de la sécurité et les perturbations dans les transports vont probablement persister au Soudan dans les prochains jours, sur fond de manifestations violentes partout au pays. Celles-ci font suite au coup d'État déclenché le 25 octobre par les forces armées soudanaises sous le commandement du général Abdel Fattah al-Burhan. Après avoir déclaré l'état d'urgence national et la dissolution du Conseil de souveraineté, le général al-Burhan a annoncé que l'armée allait former une administration non-partisane et resterait au pouvoir jusqu'à ce que des élections soient organisées en juillet 2023. L'armée a également arrêté plusieurs cadres et assigné à résidence le premier ministre Abdalla Hamdok. En date du 28 octobre, des groupes de la société civile ont appelé à manifester et à la désobéissance civile pour dénoncer le coup d'État et réclamer le retour du pouvoir civil. Les manifestations répétées vont probablement affecter les échanges commerciaux à court terme, incluant le transport de marchandises partout dans le pays.
L'armée soudanaise s'est emparée du pouvoir sous l'effet des tensions avec les dirigeants civils
Le récent coup d'État expose les tensions entre les commandants militaires et les dirigeants civils qui partageaient le pouvoir au Soudan depuis la destitution de l'ancien président Omar-al-Bashir en 2019. Suite à son départ, le Conseil militaire de transition (CMT) et les Forces pour la liberté et le changement (FLC), une coalition de représentants civils, ont formé un gouvernement de transition et établi une constitution en août 2019. Cependant, des divisions ont persisté entre les deux clans autour de plusieurs enjeux, dont le transfert du pouvoir à un gouvernement civil avant le 17 mai 2021. Des retards du CMT ont repoussé la date limite au 17 novembre 2021. Ce report a poussé des groupes pro-FLC a déclencher des manifestations à grande échelle. De son côté, le CMT a continué d'accuser le gouvernement du premier ministre Hamdok d'incompétence face à de profonds défis socio-économiques.
Les membres du Conseil Beja, un groupe ethnique de l'Est-Soudan favorable au coup d'État, sont descendus dans les rues pour dénoncer l'incapacité du gouvernement à répondre à leurs attentes. Parmi celles-ci, il y a l'abolition du protocole de l'Est-Soudan incorporée à l'Accord de paix de Juba de 2020, ainsi que l'unification des États orientaux du Kassala, de Mer Rouge, et d'Al Qadarif. Sous l'effet de leurs manifestations qui se poursuivent depuis la mi-septembre, les routes principales menant vers Khartoum et le reste du pays ont été bloquées. Les ports de Suakin et de Port-Soudan sont également bloqués, de même que le Nouvel aéroport international de Port-Soudan (PZU) et l'aéroport de Kassala (KSL). Le blocus de Port-Soudan, principal port du pays, a provoqué des pénuries de blé, de carburant et de médicaments, entraînant des hausses de prix partout au pays. Le Conseil Beja, qui soutient l'armée, pourrait encourager une désescalade des manifestations afin que les opérations commerciales puissent reprendre. Cependant, il reste à voir si l'armée sera en mesure de répondre aux demandes du Conseil.
Les tensions entre le CMT et les FLC se sont aggravées davantage suite au coup d'État manqué du 21 septembre, dont les auteurs ont tenté sans succès de s'emparer du bâtiment de la radio nationale à Omdurman et du commandement militaire de Khartoum. Les autorités ont arrêté plusieurs officiers de l'armée et ont blâmé des partisans de l'ancien président al-Bashir pour cette tentative ratée. Par la suite, des centaines de milliers de personnes se sont rassemblées à Khartoum le 30 septembre pour réclamer le retour d'un gouvernement civil.
Le coup d'État du 25 octobre et l'arrestation du premier ministre Hamdok ont poussé des militants pro-civils menés par l'Association des professionnels soudanais (APS) à manifester dans Khartoum et d'autres villes du pays. L'armée a réagi en mobilisant des forces de sécurité qui auraient employé des balles réelles et des gaz lacrymogènes pour disperser les manifestants à Khartoum, notamment autour de son quartier général. En date du 26 octobre, les forces de sécurité ont tué au moins sept personnes et en ont blessé 80. En outre, toutes les routes et les ponts menant à Khartoum demeurent fermés, donnant lieu à de graves perturbations des chaînes d'approvisionnement à destination ou en provenance de Khartoum. Des interruptions persistent dans les télécommunications, mais les réseaux internet par satellite de Salnco et Manet continuent de fonctionner. Les vols avaient initialement été suspendus à l'aéroport international de Khartoum (KRT) mais ils ont repris le 27 octobre.
Perspectives à court terme pour l'environnement opérationnel au Soudan
Les rassemblements de masse en faveur d'un retour au pouvoir civil risquent de se poursuivre dans les prochaines semaines suite aux appels d'activistes pour la poursuite des manifestations et des barrages routiers partout au Soudan, incluant des marches le long d'importantes artères et des manifestations devant les bâtiments du gouvernement, et une « marche des millions » prévue le 30 octobre. Des contre-manifestations de la part des partisans de l'armée sont aussi possibles. Les forces de sécurité vont probablement demeurer en poste dans la capitale et les autres villes afin de disperser les manifestants, notamment à proximité des bâtiments importants du gouvernement et d'autres sites stratégiques. Les dirigeants pourraient imposer des restrictions supplémentaires dans les prochains jours, incluant la fermeture des frontières et des couvre-feu. Les risques de violence se sont accrus dans les rassemblements; et l'environnement politique instable pourrait pousser des groupes d'opposition armés liés aux autorités civiles à s'en prendre au gouvernement mené par l'armée. Les tensions relatives au coup d'État et les risques accrus de violence vont continuer de détériorer l'environnement pour les affaires à court terme. Les grèves, les troubles et les barrages routiers vont probablement déstabiliser les opérations commerciales partout au pays. Les appels à la désobéissance civile pourraient forcer les entreprises à cesser leurs opérations.
Les risques pour le transport de marchandises vont probablement s'amoindrir à moyen terme malgré le soutien offert par les activistes du Conseil Beja au coup d'État et à la destitution du premier ministre Hamdok. Toute cessation des hostilités en Est-Soudan dépendra de la façon dont l'armée répond aux demandes locales. Le coût des mesures d'atténuation du risque, incluant la hausse des coûts d'assurance, va continuer de peser sur l'industrie. Les périodes de troubles prolongés et profonds vont alimenter l'anxiété, et les investisseurs et dirigeants du secteur vont être amenés à réacheminer leurs expéditions vers des ports alternatifs en Égypte si la sécurité des chaînes d'approvisionnement ne s'améliore pas au Soudan, avec des coinséquences négatives pour l'économie du pays.
Mesures d'atténuation des risques
Les responsables de sécurité et les entreprises qui souhaitent protéger leur chaîne d'approvisionnement doivent identifier tous les risques et points de vulnérabilité. Ceux-ci doivent tous être révisés et documentés, des troubles civils de masse aux divers affrontements localisés.
- Des clôtures de périmètre adéquates, des systèmes d'alarme hors des heures normales, de l'éclairage additionnel, la surveillance par caméra avec ligne de vue claire, le contrôle d'accès électronique sur site, et une présence de sécurité 24 heures peuvent être considérés pour tous les lieux d'entreposage.
- Tous les systèmes mécaniques doivent être reliés à une source d'alimentation sans interruption (UPS) en cas de coupure de courant. Des contrats d'entretien sont recommandés pour tous les systèmes de sécurité.
- Procédez à une revue régulière/annuelle des mesures de sécurité sur site avec le soutien de partenaires de confiance.
- Effectuez des évaluations de sécurité régulières sur les itinéraires de transport de marchandises, identifiez les zones à risque et les temps de déplacement, et considérez les risques en regard de l'environnement politique et sécuritaire.
- Offrez aux transporteurs une formation de sensibilisation à la sécurité et à la prévention.
- Assurez-vous que les marchandises à expédier sont sécurisées avec des technologies de repérage des véhicules.
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Auteur(e)(s)
Allo Tedla
Analyste du renseignement IV
Allo Tedla est un analyste du renseignement régional basé aux États-Unis. À ce titre, il surveille l'évolution des événements dans les régions africaines de l'Est et de la Corne à des fins d'alerte et...
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