Briefing du service de renseignement
Écoutez les analystes de Crisis24 discuter des conséquences du récent coup d'État au Myanmar, notamment les impacts probables sur la sécurité et les affaires. De plus, en participant en direct, vous aurez la chance de poser vos questions à nos experts.
Disponible en anglais seulement.
Résumé
Le 1er février, l’armée du Myanmar (Tatmadaw) a installé le général Min Aung Hlaing au pouvoir, a déclaré l’état d’urgence pour un an, et a placé en détention les responsables du parti dirigeant, la Ligue nationale pour la démocratie (NLD) incluant sa chef Aung San Suu Kyi, le président Win Myint et d’autres personnalités de premier plan. L’armée a annoncé que des « élections générales libres et équitables » seraient tenues après la fin de l’état d’urgence. Le risque de troubles civils est élevé car les partisans du NLD et de Suu Kyi, qui demeurent très populaires au Myanmar, pourraient organiser des manifestations pour les défendre.
Principaux éléments
- Le général Min Aung Hlaing s’est emparé du pouvoir le 1er février, s’est déclaré Président du conseil législatif national, et a placé en détention des responsables du parti dirigeant, la Ligue nationale pour la démocratie (NLD) incluant sa chef Aung San Suu Kyi.
- Des troubles civils sont probables à court terme car les partisans du NLD et de Suu Ky, qui demeurent très populaires au Myanmar, pourraient organiser des manifestations pour les défendre.
- Des mesures de sécurité renforcées sont à prévoir au Myanmar, incluant d’importants déploiements rapportés à Naypyidaw et à Yangon.
- Les États-Unis et d’autres pays vont probablement utiliser des leviers diplomatiques tels que des sanctions contre l’armée du Myanmar pour la pousser à rétablir rapidement des règles démocratiques.
Déclaration de l’état d’urgence
Les services de téléphone et d’accès à Internet sont interrompus ou limités dans plusieurs régions du pays, particulièrement à Yangon et à Naypyidaw. La seule source de nouvelles télévisées est la chaîne officielle de l’armée, Myawaddy. Le Tatmadaw a aussi annoncé le renvoi de 24 ministres du gouvernement d’Aung San Suu Kyi et placé 11 remplaçants issus de ses rangs à des postes clés de l’administration dont les finances, les affaires étrangères, la santé et la défense.
Peu avant le coup d’État, un porte-parole de l’armée avait déclaré qu’une prise du pouvoir n’était pas écartée car les allégations de fraude lors des élections de novembre 2020 étaient restées sans réponse. Le NLD de Suu Kyi a remporté les élections avec 83 % des suffrages, tandis que l'Association pour la solidarité et le développement de l'Union (USDA), le parti soutenu par l’armée, n’a obtenu que 33 des 476 sièges en jeu. Le NLD a déclaré que les allégations de l’armée étaient sans fondement, et qu’une vérification des bulletins n’aurait aucun effet sur les résultats. Selon des observateurs, le coup d’État pourrait avoir été motivé par les tentatives de réforme constitutionnelle de Suu Kyi pour réduire l’influence politique de l’armée, et par crainte de voir le NLD consolider son pouvoir. Les chefs militaires semblent estimer que la pandémie de COVID-19, l’influence croissante de la Chine, la baisse de la popularité internationale de Suu Kyi, et un recul global de la démocratie, particulièrement dans les pays d’Asie du Sud-Est dont le Cambodge et la Thaïlande, vont atténuer les réactions négatives sur le plan international.
Condamnation du coup d’État par les gouvernements étrangers et demandes de libération des responsables détenus
Le coup d’État a été condamné par la communauté internationale, incluant les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie. L’administration du président Joe Biden a menacé de réagir si les responsables détenus n’étaient pas libérés, et a ordonné une révision des sanctions qui avaient été levées lorsque le pays avait adopté la démocratie en 2011. Le premier ministre britannique Boris Johnson a qualifié la situation d’emprisonnement illégal de civils et demandé que ces derniers soient libérés, tandis que les États-Unis, la France et le Japon ont appelé au respect de l’État de droit et au rétablissement de la démocratie.
La Chine s’est abstenue de condamner le coup d’État et a appelé les diverses parties à résoudre leurs différends. À titre de principal partenaire économique du Myanmar, Pékin exerce une influence substantielle sur le pays, et y compte des gazoducs et oléoducs ainsi que des projets liés à sa nouvelle Route de la soie (Belt and Road). Les réactions d’autres pays de l’ASEAN ont été variées, incluant des appel au dialogue et à la retenue de la part de Brunei, de l’Indonésie, de la Malaysie et de Singapour. Le premier ministre cambodgien Hun Sen et le vice-premier ministre thaïlandais Prawit Wongsuwan ont qualifié le coup d’État d’« affaires intérieures » du Myanmar.
Perspectives
Suite à l’arrestation des responsables du parti, la page Facebook officielle du NLD a diffusé une déclaration au nom de Suu Kyi appelant le peuple à protester contre le coup d’État. Des manifestations pourraient donner lieu à des affrontements entre les partisans du NLD et de l’armée, et à une répression par les forces de sécurité.
Le coup d’État a aussi soulevé des inquiétudes sur les risques de persécution et de violence contre les minorités ethniques comme les Rohingya dans l’État de Rakhine et d’autres dans l’État Kachin.
Le renforcement des forces de sécurité est flagrant partout au Myanmar. Les télécommunications, les transports et les services financiers et d’affaires pourraient être perturbées dans les prochains jours.
Les puissances internationales opposées au coup d’État vont probablement utiliser des leviers diplomatiques tels que des sanctions contre l’armée du Myanmar pour la pousser à rétablir la démocratie. Cependant, les gouvernements étrangers pourraient être dissuadés de réagir plus agressivement par le fait que Suu Kyi, bien que toujours populaire localement, a vu son réputation intenationale ternie par son inaction face à la crise des Rohingya ; des concessions verbales en vue d’une solution pourraient être exigées d’elle si elle est autorisée à parler librement. Dans tous les cas, il est possible que l’état d’urgence soit maintenu au-delà d’une année si l’on se fie aux événements du passé, et sachant que la constitution qui a été rédigée par l’armée donne à celle-ci beaucoup de pouvoir.
Auteur(e)(s)
Dr Olivier Guillard
Directeur du renseignement
Olivier Guillard dirige une équipe d'analystes du renseignement, effectue des missions sur le terrain et dispense des formations aux clients. Olivier a rejoint l'équipe de Crisis24 en 2002. Il est...
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