La guerre au Yémen est appelée à s'intensifier, tout du moins à court terme. Le 17 janvier 2022, les rebelles houthis du Yémen ont revendiqué une attaque « en plein cœur des ÉAU » et ont déclaré avoir pris pour cibles l'aéroport international d'Abu Dhabi (AUH) ainsi qu'une zone industrielle avec des attaques de drones. Les autorités émiriennes ont rapporté au moins trois explosions de camions-citernes dans la zone industrielle de Mussaffah à Abu Dhabi. Un incendie a aussi eu lieu dans un chantier de construction de l'aéroport. Les explosions, vraisemblablement provoquées par des attaques de drones, ont fait trois morts et six blessés. Les preuves recueillies par la police émirienne semblent corroborer les revendications des Houthis; elle a déclaré que des pièces de petit avion avaient été trouvés sur les lieux des impacts.
Des attaques contre les navires marchands ont déjà eu lieu par le passé sur le territoire émirien. Par exemple, un navire appartenant à une société israélienne a été attaqué dans le port émirien de Fujairah en avril 2021; l'attaque a causé une explosion mais n'a fait aucune victime. Quatre navires ont également été endommagés en mai 2019 dans le même port. Les autorités américaines et israéliennes avaient attribué ces attaques à l'Iran, un important allié des Houthis. Cependant, c'est la première fois qu'une attaque de cette ampleur contre les ÉAU survient depuis que l'Arabie saoudite et les ÉAU se sont impliqués dans la guerre au Yémen en 2015. Les ÉAU sont un partenaire important de la coalition saoudienne qui se bat contre les Houthis au Yémen. Bien qu'Abu Dhabi dit avoir retiré la majeure partie de ses forces en 2019, des forces émiriennes supplétives ont joué un rôle clé dans la défaite des Houthis au Shabwash plus tôt ce mois-ci. La perte de ce gouvernorat a été un revers majeur pour les Houthis car son contrôle est essentiel à la capture du gouvernorat de Marib, riche en pétrole. Celui-ci fait l'objet d'affrontements depuis plus d'un an entre les Houthis et les forces soutenues par les saoudiens et les émiriens.
Les attaques de drone présumées ne laissent d'autre choix aux ÉAU que de riposter. Ils vont très certainement lancer des frappes aériennes sur des cibles militaires houthis dans le Nord du Yémen, en particulier à Sanaa. Ces frappes vont non seulement intensifier le conflit au Yémen mais pourraient aussi provoquer de nouvelles attaques houthis sur les villes émiriennes. Les rebelles houthis ont mis à niveau et raffiné leurs systèmes d'armement dans les dernières années, pendant que la guerre au Yémen se poursuivait. Les attaques du 17 janvier 2022 démontrent l'amélioration des capacités des Houthis puisque la distance de Sanaa à Mussafah est de 1469 km.
Pendant ce temps, l'Arabie saoudite a annoncé le 17 janvier 2022 que ses défenses aériennes avaient intercepté et détruit au moins huit drones lancés sur le royaume. Ce type d'attaques devrait se répéter tant que la guerre au Yémen se poursuit. Les attaques contre l'Arabie saoudite, qui ont presque doublé dans la dernière année, surviennent à un moment où l'approvisionnement du royaume en intercepteurs de missiles serait affaibli. Des rapports indiquent l'Arabie saoudite a demandé à plusieurs pays dans la région de l'aider à se réapprovisionner en intercepteurs.
L'attaque du 17 janvier 2022, ainsi que la prise du navire émirien Rwabee le 3 janvier, ne peuvent être analysées isolément de la situation globale au Moyen-Orient. Les tensions entre les États-Unis et l'Iran persistent malgré les efforts indirects des deux pays pour relancer le Plan d’action global commun (PAGC) de 2015. Les milices chiites rattachées aux Iraniens poursuivent leurs attaques sur les bases de l'armée irakienne abritant des militaires américains et sur les missions diplomatiques en Irak. Israël et l'Iran semblent aussi avoir multiplié les opérations clandestines l'un contre l'autre.
La situation géopolitique au Moyen-Orient va demeurer dynamique à court et moyen terme. Le retrait américain de l'Afghanistan en août 2021 a modifié l'environnement géopolitique dans la région, et un réalignement des alliances est actuellement en cours. De grandes rivalités comme celle entre l'Arabie saoudite et l'Iran sont même en train de s'atténuer en vue d'une normalisation et de relations plus amicales. Les ÉAU et l'Iran tentent également d'arriver à une détente. Le conseiller à la sécurité nationale des ÉAU, Tahnoon bin Zayed, s'est rendu à Téhéran début décembre pour rencontrer plusieurs hauts responsables de la sécurité du pays, incluant le président iranien Ibrahim Raïssi. L'objectif principal de cette rencontre au sommet était de désamorcer les tensions et d'entamer un rapprochement.
Les ÉAU avaient réduit leurs relations diplomatiques avec l'Iran suite à l'attaque de 2016 contre l'ambassade saoudienne à Téhéran. Malgré un regain de tension depuis lors, les ÉAU avaient conservé une représentation diplomatique à Téhéran. La sécurité dans le Golfe persique et le Détroit d'Ormuz est d'une importance primordiale pour les ÉAU. Les attaques de 2019 contre des pétroliers dans le Golfe persique avaient poussé les ÉAU à envoyer une délégation à Téhéran pour apaiser les tensions. Les récents échanges et visites entre les deux pays se sont déroulés dans le contexte d'une normalisation des relations entre Israël et les ÉAU, réalisée grâce aux accords d'Abraham en 2020.
Bien que les Israëliens vont probablement tolérer l'établissement de relations commerciales plus solides entre Abu Dhabi et Téhéran, ils pourraient prendre des mesures drastiques et rompre leurs liens avec les ÉAU si les deux pays nouent des alliances en matière de sécurité et de renseignement. Israël considère l'Iran comme son ennemi numéro un, et ne peut maintenir des relations étroites avec aucun pays qui s'implique activement dans des activités de sécurité avec Téhéran. Il reste à voir si des mesures significatives peuvent être prises pour rapprocher davantage les ÉAU et l'Iran dans la foulée de la plus récente attaque. Les ÉAU et l'Arabie saoudite ont plusieurs fois accusé l'Iran d'approvisionner les Houthis en armes et en munitions. Bien que Téhéran exerce une certaine influence sur les Houthis, ces derniers ne vont pas cesser leurs attaques de drones à moins que l'Arabie saoudite et les ÉAU retirent leur soutien aux forces gouvernementales yéménites, ce qui est peu probable.